Par Julia Itel - Publié le 21/06/2022

Le diable incarne l’esprit du mal, le tentateur, celui qui oppose ou qui détruit. Tantôt appelé Satan, Lucifer ou Belzébuth, le diable est une invention judéo-chrétienne, apparue dans les deux siècles avant J.-C. Retour sur ce personnage bien mystérieux…


Le diable dans l’Ancien Testament

Le diable est presque absent de la Bible hébraïque. Il apparaît trois fois sous le nom commun stn, qui a donné Satan et qui signifie en hébreu « adversaire » ou « accusateur ». 

On le trouve dans le Premier livre des Chroniques (26, 1), dans le Livre de Job (1, 6) et dans le Livre de Zacharie (3, 1-2). Apparaissant comme un membre de l’entourage de Dieu, il se présente comme un ennemi de l’homme et cherche à lui causer sa perte. 

Par exemple, Satan pousse le roi David à recenser le peuple d’Israël, chose qui ne relevait que du pouvoir de Dieu et qui provoque la colère de celui-ci. Pour punir Israël, Dieu envoie la peste et menace d’exterminer le peuple – ce qu’il évite au dernier moment. 

On ne connaît pas bien les raisons qui poussent Satan à s’ériger ainsi contre l’humanité. Ceci fera l’objet de débats théologiques plus tardifs.

Voir Les tablettes de la foi - Satan

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Quelle est l’étymologie du mot « diable » ?

Au IVe siècle avant J.-C., la Bible est traduite en grec et le terme satan est remplacé par diabolos, qui signifie « celui qui s’oppose, qui sépare » ou « celui qui est jeté à travers, qui fait obstacle ». 

Diabolos est l’antonyme de symbolon, « ce qui rassemble », « ce qui unit ». Il est donc celui qui divise la réalité et qui détient des forces destructrices.


Les premières sources : la littérature apocalyptique

Le genre littéraire apocalyptique 

Au cours du IIe siècle avant J.-C., la Judée est sous le contrôle de la dynastie hellénistique. Des tensions émergent au sein du peuple juif qui se sépare en plusieurs groupes. Privés de leur autonomie politique et de leur religion par Antiochos IV, les juifs produisent une un nouveau genre littéraire qui sert à éclairer le présent, fait d’incertitude et de souffrances : la littérature apocalyptique

Celle-ci leur permet de se projeter dans un temps futur où les promesses de Dieu se réaliseront. Le présent, dirigé par l’esprit du Mal, va néanmoins bientôt laisser la place à un temps plus clément, où l’esprit du Bien triomphera. 


Un combat entre le Mal et le Bien

Le Livre de Daniel, écrit autour de 164 avant J.-C., est l’un des premiers à évoquer ouvertement l’existence d’un esprit maléfique incarné sous la forme d’une bête. Il introduit également l’idée d’une possible damnation pour certains à la fin des temps.

L’idée d’un combat final entre les forces du Mal et celles de la lumière est aussi présente parmi les manuscrits de Qumrân, attribués à la secte des Esséniens. On y trouve ouvertement une référence au « Prince des Ténèbres », aussi désigné sous le nom de Bélial et qui serait aux commandes d’une légion d’anges.


L’armée des anges déchus

Le Livre d’Hénoch, qui est un récit pseudépigraphique et attribué soi-disant à l’arrière-grand-père de Noé, établit l’origine de Satan et des démons. D’après l’auteur, ces derniers sont des anges – donc des créatures de Dieu – qui ont fauté en désirant posséder sexuellement des femmes, descendantes d’Ève. Ils leur auraient ainsi enseigné la sorcellerie et engendré des géants semant la terreur sur Terre. 

Une armée d’anges, dont les trois plus célèbres Michel, Raphaël et Gabriel, intercède alors auprès des humains et s’ensuit une grande bataille où la lumière finit par vaincre le mal. Les anges rebelles sont punis et on dit que ceux qui se sont opposés à Dieu sont devenus des étoiles tombant du ciel (ce qui a donné le nom Lucifer, « porteur de lumière »).

Cette vision de l’origine du mal a été ratifiée par des conciles, dont celui de Latran en 1215, et a inspiré les premiers chrétiens.


Le serpent de la Genèse

Jusqu’au Ier siècle avant J.-C., le serpent de la Genèse qui a tenté Ève à manger le fruit défendu n’est pas encore assimilé au diable. On trouve cette correspondance dans le Livre de la Sagesse qui attribue à Satan le rôle du tentateur, du séducteur usant de la ruse pour introduire la méfiance en l’homme.


Le diable dans le Nouveau Testament

Les premiers chrétiens sont donc fortement imprégnés des thématiques présentes dans la littérature apocalyptique, d’autant qu’ils vivent à une époque où les persécutions sont monnaie courante. 

Dans le Nouveau Testament, le diable (et ses appellations) apparaît 188 fois. Il devient l’ennemi par excellence, celui contre qui Jésus doit lutter. Ayant assez peu d’importance dans l’Ancien Testament, Satan prend ici une place prépondérante car il répond au besoin de présenter le Christ comme le Sauveur de l’humanité. Il joue donc un rôle eschatologique.


Jésus, vainqueur du Mal

Dans l’épisode de la Tentation du Christ, ainsi que dans plusieurs cas d’exorcisme auquel Jésus est confronté, les évangélistes tiennent à montrer celui-ci comme vainqueur du Mal. Dans le Nouveau Testament, le diable est constamment présenté comme le responsable de tous les péchés qui existent sur Terre. Il est celui qui s’oppose au plan divin, celui qui assombrit et qui affaiblit la conscience. 

Par le symbole de la Croix, Jésus libère l’humanité en leur montrant qu’une autre voie est possible : celle de disposer librement d’eux-mêmes. C'est là que réside la Bonne Nouvelle de l’Évangile, celle du triomphe de la vie sur les ténèbres.


Le diable dans l’Apocalypse

La représentation du diable a aussi été très marquée par l’imaginaire du livre de l’Apocalypse, qui clôture le Nouveau Testament, et qui serait une révélation faite par Jésus à l’auteur, Jean.

À travers ses récits de visions, l’auteur narre le combat eschatologique opposant Dieu, l’Agneau (Jésus, rédempteur) et les premiers chrétiens persécutés à Satan et ses manifestations terrestres. Vainquant d’abord le Dragon (qui rappelle le serpent de la Genèse), l’Agneau affrontera les deux Bêtes qui représentent, d’après les historiens et exégètes, l’empereur Néron et la ville de Rome.  Les deux Bêtes sont monstrueuses. L’une a dix cornes et sept têtes ; l’autre a deux cornes. Cette représentation du diable cornu subsistera dans les siècles suivants et semble inspirée du dieu grec Pan, dieu du désir sexuel, aussi cornu, poilu et à tête de bouc.


Évolution de la figure du diable dans l’histoire

Chez les Pères de l’Église

Aux débuts de l’Église, la place que tient le diable dans la tradition chrétienne pose problème. Est-il le versant négatif de Dieu, donc son égal ? Le premier concile de Braga, tenu autour de 560, tranche : le diable est une créature de Dieu, un ange qui a fauté. Ses pouvoirs ne sont donc pas à la mesure de ceux divins. 

Mais pourquoi a-t-il fauté ? Cette question anime les débats bien plus tôt, aux IIe et IIIe siècles. Pour Irénée de Lyon, le diable et les anges déchus sont jaloux des hommes car bien que créés avant eux par Dieu, l’humanité a reçu plus de faveurs de la part du Seigneur. Pour Tatien, disciple de Justin, c'est l’orgueil qui a poussé le diable à se faire idolâtrer des hommes. 


Diaboliser les hérésies

Dans les premiers siècles après J.-C., la jeune Église chrétienne doit faire face à de nombreux concurrents. Les premiers théologiens en viennent alors à associer les courants hérétiques et la survie du paganisme à l’action du diable qui s’oppose aux missionnaires et évangélisateurs. Tout ce qui n’est pas chrétien est diabolique.

Au Moyen Âge, le diable dépasse le seul concept théologique : il devient une réalité. À partir du XIIe siècle émerge l’idée d’éduquer par la peur. Tout ce qui est transgressif devient associé à l’œuvre du diable. La notion de purgatoire est créée, au XIIIe siècle naît la démonologie, les multiples hérésies (comme les cathares) et les maladies (comme la peste) sont l’œuvre de forces démoniaques… À partir du XVIe siècle, les procès pour sorcellerie et l’Inquisition amplifient l’existence d’une puissance maléfique sur terre. 

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Survie et déclin de la croyance au diable

Le siècle des Lumières et l’instauration progressive de la primauté de la raison sur les superstitions démythifient la figure du diable. Dorénavant, celui-ci est perçu comme une invention cléricale. 

Néanmoins, il ne disparaît pas complètement : dès la fin du XVIIIe siècle, il devient l’archétype de l’homme qui est en rupture contre l’ordre établi et, donc, qui s’affranchit. Séduisant les milieux romantiques, il se transforme ainsi en figure littéraire et inspirera plus tard la psychanalyse qui intériorisera la fonction du diable à l’instinct auquel l’homme reste soumis.