Un jour, le désir s’était fait plus fort ; mieux que fort, irrésistible. Voir Dieu, tout simplement. Nous savions, bien sûr, que celui qui avait placé son espérance en lui, finirait par le voir face à face, par-delà le douloureux passage de la mort ; mais nous voulions le voir tout de suite. Ce désir nous échappait ; il s’était déjà converti en impatience. Nous nous sentions si proches de ces disciples dont vient de parler l’Évangile. Ils avaient touché les mains de Jésus et son côté ; ils avaient entendu sa voix ; ils avaient partagé un repas avec lui. Eux avaient été frappés de stupeur et de crainte ; nous aussi sans doute, nous demandant constamment : " Pourquoi moi ? Pourquoi moi ?" ; mais c’était l’enthousiasme qui l’emportait. Les apôtres avaient été choisis, nous aussi ; ils avaient suivi le Christ : nous étions prêts à le faire nous aussi ; ils avaient mené une vie réellement commune, partageant les biens et le coeur : nous nous apprêtions à nous engager par des voeux au même partage. Comme eux, nous désirions le voir, l’écouter et partager son intimité.
 Ce désir nous avait conduits à frapper à la porte des couvents et des monastères. Nous avions décidé de mettre notre baptême au régime de la vie religieuse. Que l’on me permette donc de parler d’elle au moment où se réunissent à Angers ceux qui ont prononcé leurs voeux depuis moins de dix ans.
 Ni en dix ans, ni en trente, comme pour moi, nous n’avons pas vu Dieu. Nous étions arrivés trop tôt ou trop tard : trop tôt, parce que ce monde n’était pas parvenu à sa consommation ; trop tard, parce que le privilège des Apôtres d’avoir entretenu un contact physique avec la personne de Jésus s’était éteint. Marie-Madeleine, que nous écoutions en ces premiers jours de Pâques, l’avait bien compris : " Ne me touche pas !" lui avait commandé le Christ au matin de sa résurrection. Elle savait que personne désormais ne pourrait plus voir Jésus après son ascension.
 Nous n’avons pas vu le Christ, et pourtant nous l’avons suivi à la trace. Quand nous nous réunissions en communautés qui reproduisaient le modèle des communautés apostoliques, quand nous partagions nos peines et nos joies, ou même de simples moments de détente, quand nous nous retrouvions côte à côte pour une même prière, ou au coude à coude dans une même activité, ici d’enseignement, là de service des pauvres, quand nous avions dépassé nos rivalités et nos appréhensions pour découvrir l’ineffable douceur de "vivre en frères tous ensemble", n’était-ce pas la voix du Christ qui résonnait en nos coeurs ? "Quand deux ou trois d’entre vous sont réunis en mon nom, avait-il affirmé, je suis au milieu d’eux" (Matthieu XVIII, 20). La vie religieuse n’est pas autre chose qu’une vie commune menée au nom du Christ. C’était donc lui qui nous avait appelés, lui qui nous avait rassemblés, lui qui, en bon berger qu’il était, nous conduisait vers les verts pâturages des bonheurs sans fin.
 Dans l’Évangile de ce jour, Jésus ressuscité ouvre l’esprit de ses apôtres à l’intelligence des Écritures. Toutes les générations chrétiennes se sont livrées à la même recherche. Aux frères et aux soeurs réunis, il revient désormais à l’Église d’ouvrir leur intelligence à la Parole de Dieu. Le religieux entre à l’école de la vérité : c’est pour cela qu’il a besoin d’un magistère. Le religieux se met à l’école de la charité : c’est pour cela qu’il a besoin de miséricorde. En écoutant l’Église au service de la vérité et au service de la miséricorde, c’est encore la voix du Christ qu’il écoute, intacte et éclatante au travers des siècles.
 Je sais bien que la vie religieuse se trouve aujourd’hui à l’épreuve. Je connais ses difficultés, ses fragilités et son besoin de renouvellement. La sécularisation de notre société lui lance un formidable défi qui la condamne à redire sa spécificité et à inventer de nouveaux signes de reconnaissance, ou à disparaître. L’enfouissement n’est plus de mise ; ce sont des témoins déclarés que réclament en ce moment les hommes de bonne volonté. Je sais cela et cependant ma confiance demeure inébranlable. Aujourd’hui, comme hier, le Christ continue d’appeler. Aujourd’hui, comme hier, des êtres généreux répondent et deviennent les témoins de sa résurrection. Aujourd’hui, comme hier, et comme demain encore, il est possible dans la vie religieuse, non pas de voir Dieu, mais d’apercevoir des coins de paradis qui rendent notre joie plus têtue que toutes les incertitudes.

Références bibliques :

Référence des chants :

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