Tout au long de l’Histoire Sainte, du Sinaï au Calvaire, les montagnes se suivent et ne se ressemblent pas. Montagnes de vie, montagnes de mort. On peut mourir en montagne, on peut aussi renaître. Aujourd’hui, c’est au Thabor que Jésus monte pour prier, avec Pierre, Jacques et Jean. Le Thabor est montagne de fulgurance. Jésus entre en prière, et soudain c’est la splendeur, l’éblouissement, la métamorphose, c’est comme si un coin du voile se levait et qu’un rayon de la gloire divine s’échappait du Fils. Le voici tel qu’en lui-même enfin la Résurrection le changera.

Alors l’entourent les hommes de la Montagne, ceux du Sinaï, de l’Horeb, Moïse et Élie, les aventuriers de la haute rencontre. C’est dans le fracas et la fureur de l’orage que Moïse entra dans la nuée pour sceller l’alliance. Pour Élie, la rencontre fut le bruit d’une brise légère, un souffle fragile, " un silence subtil " (Chouraqui). Tous deux voilent leur visage ; on n’étreint pas impunément le feu, que ce feu soit éclair ou souffle.

Ici, au Thabor, ni tempête ni souffle. " Voici mon Fils, mon bien aimé, écoutez-le ", dit la voix dans la nuée. " Voici l’homme ", " Ecce Homo ", criera bientôt Pilate en présentant à la foule un homme couvert de sang, ridiculisé, torturé, et qu’on va assassiner. Le même homme, l’homme du Calvaire et l’homme du Thabor. Oui, voici l’homme ; mais aujourd’hui c’est un homme radieux, rayonnant, qui dit la face de Dieu, " comme une vision d’éclair ".

Ce deuxième dimanche de carême nous rappelle qu’il n’y a pas de dimanche de Pâque sans Vendredi Saint, mais qu’il n’y a pas non plus de Vendredi sans Dimanche. La fulgurance du Thabor illumine les ténèbres du Calvaire, la croix et le tombeau vide sont au même jardin.

Les textes nous redisent aussi que parler de Jésus et de son chemin, c’est parler de l’homme, des hommes, de l’humanité. Le mystère de Jésus est notre mystère. " Il est venu partager notre condition humaine en toutes choses pour nous faire partager sa condition divine " disent saint Irénée, saint Léon et tant d’autres. Sa Pâque est et sera la Pâque de toute l’humanité.

Dom Helder Camara, évêque brésilien au Nordeste, raconte qu’un jour des fidèles viennent lui demander de célébrer une messe d’expiation au village. Des voleurs ont pillé l’église, ils ont cassé le tabernacle, emporté les ciboires et, en partant, ont jeté les hosties dans la boue. " J’y suis allé, bien sûr, et je leur ai dit : Vous êtes horrifiés parce que le Corps du Christ a été jeté dans la boue, vous avez raison, mais n’oubliez pas qu’ici et ailleurs, tous les jours, le Corps du Christ est jeté dans la boue quand les plus pauvres, les plus petits sont écrasés, humiliés, tués ". " Si quelqu’un, écrit saint Paul, détruit le temple de Dieu, celui-là Dieu le détruira, car le temple de Dieu est sacré, et ce temple c’est vous ". (I Co 3, 16)

Temple de Dieu, l’homme ! ? Il y eut des temps dans l’histoire chrétienne où à la question " Qu’est-ce que l’homme ? ", certains répondaient volontiers : " L’homme ? un tas de boue. – L’humanité ? une masse de perdition. Le démon règne ! " Eh bien, non et non ! Si lourd que soit le péché, l’homme et la femme, jusque dans leurs désirs fous, sont faits et restent faits à l’image de Dieu et à sa ressemblance. " Qu’est-ce que l’homme, que tu en prennes souci ? ". À cette question, le psaume 8 répond : " À peine le fis-tu moindre qu’un Dieu, le couronnant de gloire et de splendeur ".

À l’affirmation, trop courante aujourd’hui, selon laquelle rien n’a de sens, que tout vient du " hasard et de la nécessité "(Démocrite), je préfère la proclamation de Catherine de Sienne, sainte dominicaine du XIVe siècle : " L’homme est beau parce qu’il vient du désir de Dieu ". Écoutez saint Jean : " Voyez quel grand amour nous a donné le Père. Dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté… Un jour nous lui serons semblables ". (I Jo 3)

Vous me direz que cet amour, cette beauté sont vraiment bien cachés ! Victimes et bourreaux à la fois, nous sommes plus familiers du Calvaire que du Thabor. Les journaux de chaque jour, les images du Brésil parlent davantage de croix que de transfiguration. C’est vrai que l’image est floue, c’est vrai que notre " moi profond " est défiguré par les masques et les grimaces. Mais écoutez ce que dit Grégoire de Nysse, au IVe siècle : " Nous voyons dans notre propre beauté l’image de la divinité… Celui qui t’a formé a déposé dans ton être une immense énergie. Dieu, en te créant, a enfermé en toi l’image de sa plénitude… Mais la déviance a dissimulé l’empreinte de Dieu… Tu es comme une pièce de métal : sous la pierre à aiguiser, la rouille disparaît… L’homme intérieur, ce que notre Maître nomme le coeur, une fois débarrassé de la rouille qui cachait sa beauté, retrouvera l’image première et sera réel.. ; Ainsi l’homme, en se regardant, verra en lui celui qu’il cherche. Et voici la joie qui remplit son coeur purifié : il regarde sa propre transparence et découvre, dans l’image, le modèle. "

" Deviens ce que tu es " (Pindare). Tu es beau, tu es belle, parce que je t’aime, dit Dieu à chacun et à chacune. Qui n’a pas vu des enfants qui s’aiment transfigurés aux portes de la nuit ? Ainsi sont les saints.

J’étais un jour au chevet d’un ami qui venait de mourir au terme d’une vie difficile, pleine d’épreuves. Soudain, j’ai été bouleversé : je voyais son visage, très marqué, se détendre, s’apaiser, s’épanouir, et j’ai dit : " Mon Dieu, qu’il est beau ! " Cet homme faisait son exode, son passage ; transfiguré, il faisait sa Pâque. Ainsi soit-il.

Références bibliques :

Référence des chants :

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