« Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. »

Ils n’avaient pas compris ! Qui d’ailleurs, à leur place, aurait pu comprendre que le drame dont ils venaient d’être les témoins sidérés et peu glorieux, cette exécution sommaire et infâmante d’un homme si bon et si proche, était en réalité bien plus qu’une simple mise à mort d’un innocent devenu trop gênant pour les autorités politiques et religieuses, mais bien l’acte par lequel Dieu, en son Fils, accomplissait, une fois pour toutes, le salut du monde ? Oui, qui aurait pu le comprendre ?

Jésus lui-même en avait averti Pierre, au soir du lavement des pieds : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard, tu comprendras (Jn 13, 7). » Et le voilà, Pierre, courant de bon matin vers le tombeau, dès que Marie-Madeleine, la première messagère, l’apôtre des apôtres, est venue lui glisser à l’oreille cette étrange nouvelle : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé (Jn 20, 2). » Que peut-il bien penser, ce pauvre Pierre, en courant avec Jean vers le tombeau, alourdi par le poids écrasant de son triple reniement ? « Plus tard, tu comprendras », lui avait dit Jésus en lui lavant les pieds, mais le lendemain, pris de panique par la tournure des événements, il avait préféré faire semblant de ne pas connaître Jésus, et il l’avait renié, par crainte d’être lui aussi condamné. Que ce fardeau est lourd sur les épaules de Pierre ! On comprend que l’autre disciple courre plus vite ! D’autant que, dans l’Évangile selon saint Jean, pas un regard de Jésus n’était venu consoler Pierre après le chant du coq. Est-ce maintenant, au tombeau, qu’il va enfin comprendre ?

Le récit ne nous le dit pas, se contentant de nous décrire ce que voit Pierre en entrant le premier : un tombeau vide et pourtant bien rangé. De Jean, on nous dit qu’il vit et qu’il crut. Mais pour Pierre, il faudra une autre rencontre, que l’évangéliste racontera au dernier chapitre de son Évangile. C’était quelques temps après ces tragiques événements. Les disciples, tristes et désespérés, avaient repris leurs anciens métiers. Certes, Jésus ressuscité leur était apparu et ils avaient vu de leurs yeux son corps mystérieusement victorieux de la mort. Mais ils n’avaient pas encore saisi que le Christ Jésus voulait les associer à cette victoire et, par elle, au salut du monde. Comment eux, pauvres disciples accablés, guidés par un Pierre si peu glorieux, pouvaient-ils être associés au salut du monde entier ?

Alors ce matin-là, pendant qu’ils étaient partis pêcher, Jésus vint sur le rivage, près d’un petit feu de braise, que l’évangéliste désigne avec délicatesse par le même mot, anthrakia, que celui par lequel il avait désigné le feu où se chauffait Pierre lors de son reniement. Jésus leur demande s’ils ont un peu de poisson. Mais ils ont passé la nuit sans rien prendre. Il leur dit alors de jeter le filet tout près de la barque et le filet se remplit. Jean, toujours lui, comprend le premier que c’est le Seigneur. Il le dit à Pierre, qui se jette à l’eau. Le récit, discrètement, ne nous dit pas ce qui se passe alors, mais on devine que le feu de braises du reniement est désormais remplacé par un autre feu, celui d’une intime et puissante réconciliation, où l’humilité du pécheur repenti est embrasée par la bonté sans mesure du pardon. Maintenant, le cœur inondé de miséricorde et de joie, Pierre a enfin compris ! Il a compris que pour comprendre, il suffit d’aimer et d’accepter d’être aimé, alors même que l’on sait tous nos manques d’amour.

Voilà ce qu’est Pâques, frères et sœurs : un événement d’amour qui nous dépasse et cependant nous requiert et nous transforme, au plus intime de nous-mêmes ; une joie qui n’a pas d’autre fondement que l’amour et qu’on ne peut comprendre que par amour. « L’amour seul est digne de foi » ! La seule question décisive, posée trois fois par Jésus à Pierre autour du feu de braise, fut celle-ci : « Pierre, m’aimes-tu ? » (Jn 21, 15-17). Et c’est la question de tous les matins de Pâques, celle que Jésus nous pose, ce matin encore, pour nous entraîner avec lui dans la force de sa résurrection. Cette nuit, autour du feu nouveau, de nombreux catéchumènes ont été baptisés dans nos paroisses, accueillant dans leur cœur la « vive flamme d’amour » du Christ ressuscité. Beaucoup ont eu des vies difficiles, manquant parfois cruellement d’amour. Mais cette nuit, ils ont rejoint dans la joie l’Église du Christ, dont la mission consiste à coopérer avec l’Esprit Saint, au service de l’amour dont Dieu aime le monde (Jn 3, 16). En sillonnant de long en large le beau diocèse de Marseille, je ne cesse de rendre grâces pour l’inventivité des jeunes et la constance des anciens, qui aident notre Église à accomplir aujourd’hui cette mission, surtout auprès des plus pauvres, des personnes de la rue, des familles en précarité, des jeunes en difficulté, des personnes migrantes en danger, de toutes les victimes des guerres et des violences de toutes sortes, parfois même dans l’Église.

En ce matin de Pâques, je vous invite tous, frères et sœurs, vous qui êtes venus dans cette Cathédrale et vous qui nous rejoignez par la télévision, à ne pas avoir peur. Charles de Foucauld disait que c’est la grande force que nous donne le Christ ressuscité : ne pas avoir peur ! N’ayons pas peur de la vérité : elle nous rendra libres ! N’ayons pas peur des autres différents, puisque tout homme, toute femme, est un frère, une sœur, pour qui le Christ est mort. N’ayons pas peur de nous engager à sa suite et d’annoncer l’Évangile, par l’humble témoignage de nos vies, par l’amour et le respect des plus faibles, de la naissance jusqu’à la mort. Oui chers amis, Christ est ressuscité ! Pour le suivre, il suffit d’aimer et d’accepter humblement d’être aimé ! Alleluia ! Amen ! 

À lire :
Qu'est-ce que Pâques pour les chrétiens ?
 

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