Il y a quelques jours, je lisais les " Mémoires du large " d’Eric Tabarly. " Je me suis demandé ", dit-il, " pourquoi ce Dieu d’Amour permettait autant de saloperies et de misères sur notre terre. La réponse, peut-être me la fournira-t-il dans l’au-delà. "

La voilà bien la grande question, la pierre d’achoppement. " Si Dieu existe ", disait Woody Allen, " j’espère qu’il a de bonnes excuses. "

Mais pourquoi ne pas lire l’Evangile pour tenter de découvrir le projet de Dieu et comment sont distribués les rôles ?

Dans l’Evangile de ce jour, nous voyons Dieu en souci pour ce monde. Il y a un message vital à transmettre, mais les volontaires ne se bousculent pas pour cette tâche. Il y a des forces du mal à l’oeuvre. Elles se trouvent sans difficulté des antennes. Pour les faire reculer plus loin, Dieu ne cesse d’embaucher. Il parle de vignerons et de moissonneurs. Dieu invente le blé et la vigne ; à l’homme de labourer, de semer, de planter, de récolter. Voilà une bonne division du travail, et quelle joie pour le paysan de voir que Dieu n’est pas avare de ses dons. Grâce aux moissonneurs, le blé de la Parole de Dieu fera des merveilles.

Tout au long de la Bible, Dieu ne cesse d’appeler. " Qui enverrai-je ? " D’Abraham aux prophètes, Dieu appelle. Si aucun Moïse ne s’était porté volontaire, il n’y aurait pas eu de sortie d’Egypte. Que peut celui qui appelle à la résistance si personne ne répond ?

De quoi avons-nous l’air avec notre idée d’un Dieu qui voudrait produire du blé sans moissonneurs, qui donnerait des soins aux malades sans médecins, qui transmettrait sa Parole sans messagers ? De quoi avons-nous l’air avec notre idée d’un Dieu bonne fée, qui, de Sa baguette, changerait la citrouille en carrosse, la souris en pur-sang, le torchon en robe de bal ?

La moisson est là, surabondante, le blé est mûr. Il ne manque plus que les moissonneurs. Sinon, dans quinze jours, avec les pluies, la récolte est perdue. Mais où trouver les ouvriers ? Comment les décider ? La demande de prière pour que le Père envoie des moissonneurs ne doit pas nous servir d’alibi paresseux. C’est dans la prière que Gandhi apprend le goût de la liberté pour son peuple. C’est dans la prière que Luther King rêve de fraternité entre les races. C’est dans la prière que Mère Térésa décide de tout abandonner pour se consacrer aux plus délaissés. On peut dire, avec St Ignace " Prie comme si tout dépendait de Dieu, agis comme si tout dépendait de toi ". En décodant les hébraïsmes de la Bible, on peut comprendre : " Prie afin de découvrir sur quel chantier, pour quelle tâche, Dieu te mobilise. "

Je me souviens d’un exégète belge. Il donnait une traduction de "  beaucoup d’appelés, peu d’élus " qui, en quelques secondes, vous changeait le visage de Dieu et le visage du monde. Il y a deux alternatives ; ou bien : les places sont chères en paradis ; ne t’imagine pas qu’il y en aura pour toi : Dieu teigneux, Dieu avare, Dieu qui menace… Ou bien : vous êtes tous invités à travailler pour l’avènement d’un monde réconcilié d’où le mépris, la haine et la solitude seront bannis… Vous êtes tous invités, oui. Mais, toi … viendras-tu ?

Suspense ! le projet de Dieu est à la merci de la réponse de l’homme. Et contrairement à ce que dit le proverbe : c’est Dieu qui propose, et l’homme qui dispose… Dieu n’est que don de soi. Il invite l’homme sur ce chemin. Comme le jeune homme riche, le plus souvent nous nous dérobons. Dieu voulait remettre Son pouvoir créateur aux mains de l’homme, avec le privilège de donner cent pour un. L’homme soupèse l’invitation : pour quel profit ? avec quelles pertes ?

Alors, la question de Tabarly, ne faut-il pas la retourner : " Pourquoi l’homme permet-il autant de saloperies et de misère sur notre terre ? ". " Qu’est-ce qui ne va pas dans ce monde ? " demandait un journaliste à Mère Térésa. " Vous et moi, Monsieur ", répondit-elle.

Jésus, qui est l’Amour fait homme, Dieu à visage humain, comment réagit-il devant les tourments des hommes ? Il est saisi de compassion jusqu’aux entrailles, dit le texte. La vue de ces foules tristes et accablées l’obsède… Il est le reflet exact du Dieu de la Première Alliance. Il ne supporte pas que l’on abîme un homme. Alors il aime, il soigne, il guérit : les muets parlent, les aveugles voient, les paralysés marchent. Chaque jour, il renfloue cet amour dont l’absence dérègle toutes les harmonies. Sa conduite est contagieuse. Des foules le suivent, se demandent s’il ne serait pas le Messie, celui à parti de qui le monde pourrait changer…

Bientôt, on va l’abattre, le faire taire. Son temps est compté ! Alors, Il embauche, Il appelle. Au lieu de dire que Dieu est muet, prête-Lui donc ta voix. Au lieu de dire que Dieu est manchot, prête-Lui tes bras. "  Celui qui croit en moi fera jaillir des sources. Allez, je vous envoie… " Entendez la plainte de ceux qui vivent au milieu des loups. C’est par des courageux que Je chasserai les tyrans. C’est par des messagers d’espérance que j’intimiderai les loups. Allez… Ne laissez pas votre générosité inemployée. Comme disait un grand résistant : " Il n’y a que 2 sortes d’hommes, ceux qui se battent, et ceux qui se couchent. "

Je pense à l’angoisse de Saint-Exupéry à la veille de sa dernière mission : " J’ai le sentiment ", dit-il, " que nous marchons vers les temps les plus noirs du monde… Il n’y a qu’un seul problème, un seul : rendre aux hommes une dimension spirituelle… Que faut-il dire aux hommes ? " C’est cette angoisse-là qui m’a fait comprendre à l’âge de 22 ans l’appel lancé autrefois par le Christ sur les chemins de Judée. " Que faut-il dire aux homes ? "

J’ai vu tant de mes camarades happés par le vide, le non-sens. Ils étaient comme le jeune Claudel ou le jeune Rimbaud, englués dans un monde sans âme.

Drogue, violence, suicide… Déjà ! Le mal-être du non-sens et de l’avarice des coeurs. " Ils étaient comme des brebis sans berger ". Et moi-même, cette détresse, est-ce que je ne l’avais pas connue jusqu’à la nausée ? Le malheur de se croire né pour rien et de n’aller nulle part ! Alors l’Evangile ? Si c’était ce message-là que Saint-Exupéry appelait de ses voeux avec son cri : " Il faut réveiller l’archange qui dort sur son fumier… " C’est une Parole divine qui peut le réveiller. L’héritage n’était pas perdu, comme l’écrivait Saint-Exupéry : il était oublié, ou bien il n’avait pas assez de moissonneurs.

C’est ainsi que j’ai eu le désir irrépressible de rejoindre les 72 qui devaient marcher en-avant du Messie pour dire " Quelqu’un est là au milieu de vous, que vous ne connaissez pas. " Il a fait un domaine où l’amour sera loi, ou l’amour sera roi, où tu seras reine. Tu n’est pas l’enfant du hasard. Tu es grand, tu es fils de Dieu. Tu ne marche pas vers un cimetière, tu marches vers un Royaume. Le roi de ce Royaume est le donneur de sens, Il t’embauche sur tous les chantiers où règnent la misère, l’exclusion et la douleur. " Chaque fois qu’un homme est torturé, c’est Dieu qui échoue et souffre ", disait le rabbin Eisenberg. Le Messie est prisonnier quelque part, ligoté par notre violence dans l’un des goulags que chaque siècle fait naître. Ce n’est pas l’homme qui attend le Messie, c’est la Messie qui attend l’homme. "

L’envoie des 72 disciples qui pourraient bien être 72 millions aujourd’hui, procède du même élan que celui de l’Amour qui jaillit au coeur de la Trinité. "  Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. "

Dans le souffle de l’Esprit, en cette veille du 3ème millénaire, des multitudes de jeunes répondent et répondront encore à l’appel d’un Christ qui croit en eux et qui ne cesse de les appeler pour les envoyer. Bientôt, ils verront les forces du mal s’écrouler comme la foudre, les murs de haine et de racisme tomber comme celui de Berlin. Puissent-ils alors puiser leurs plus hautes joies dans les promesses de l’éternité.

"  Réjouissez-vous ; vous êtes aimés, vos noms sont inscrits dans le Ciel. "

Références bibliques :

Référence des chants :

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