Le temps passe inexorablement. Les beaux moments font partie du passé, ils ne reviennent plus. Qui d’entre nous d’ailleurs peut, en s’en préoccupant, ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie ? Tout est fait de morceaux épars. Nous pouvons comparer ces morceaux à des tessons de mosaïque : nous ne savons pas si le tableau que nous réussirons à composer sera jamais achevé. Il nous est demandé de nous remettre pleinement dans les mains du Seigneur. C’est Lui, en définitive, qui donnera sa complétude à nos vies et à la création tout entière. Nous venons tout juste, dans le Livre de l’Apocalypse, de rencontrer cette affirmation : « Voici maintenant le salut, la puissance et la royauté de notre Dieu, et le pouvoir de son Christ ! » A quoi, à qui et à quel moment se réfère ce « maintenant » ? Ce que nous fêtons aujourd’hui, c’est que ce « maintenant » s’est déjà réalisé pour Marie : elle a été assumée dans la plénitude avec tout ce qui l’a constituée, corps et âme. Elle a été assumée dans le ciel.

Mais de quel ciel s’agit-il donc ?

Cette question peut sembler banale, de fait il n’en est rien. Les toutes premières paroles de la Bible affirment qu’au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. En ce sens, les cieux font partie aussi de la réalité créée, et comme tels ils ne sont pas destinés à durer toujours. Jésus n’a-t-il pas lui même affirmé : « Cieux et terre passeront, mes paroles ne passeront pas. » (Mt XIII, 31) ? Comme si Dieu avait créé les cieux et la terre pour nous faire comprendre l’importance de la complémentarité en toute chose. Il n’est pas de plénitude en-dehors de l’intégration des contraires : l’homme et la femme, le jour et la nuit, l’ombre et la lumière, la douleur et la joie. La terre représente ce qui est concret, , ce qui peut être immédiatement circonscrit et saisi, tandis que le ciel ouvre sur les vastes horizons. S’il est important, d’un côté, de bien avoir les pieds sur terre, il est tout autant indispensable de tourner son regard vers le ciel. Autrement, quel sens aurait cette demande : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » ?

L’évangéliste Luc nous présente la mère de Jésus comme la femme qui sait vivre la joie comme la douleur, l’annonce joyeuse de l’ange comme celle douloureuse du vieux Syméon. Face à la grandeur du plan de Dieu, qui l’a bénie entre les femmes et a béni le fruit de ses entrailles, elle reste consciente de sa petitesse et la proclame à voix haute dans le Magnificat. En ce sens on peut dire d’elle qu’elle a su intégrer dans sa vie le ciel et la terre. Quoiqu’il en soit, ce ciel et cette terre disparaîtront. Que signifie alors que la Vierge a été assumée au ciel ? De quel ciel s’agit-il ?

La Bible, quand elle parle du ciel, se réfère au firmament, au ciel où se meuvent toutes les créatures ailées. Et pourtant, elle ne s’ arrête pas là. De fait, l’immensité des espaces stellaires est comme un indice qui pointe sur quelque chose encore ailleurs, au-delà de la polarité du ciel et de la terre. Ainsi nous est-il rapporté, de façon très concrète, dans le récit du baptême de Jésus : le ciel s’ouvre, il se déchire, et de cette ouverture qui s’opère ainsi dans la voûte céleste, descendent l’Esprit et la Parole qui confirme Jésus comme le fils bien-aimé. Le ciel s’ouvre véritablement sur l’au-delà. Quand les évangiles affirment que Jésus a tourné ses yeux vers le ciel, ne veulent-ils pas signifier que le ciel permet de voir au-delà ? Cette dimension qui est au-delà du ciel entendu comme firmament, est aussi appelée « ciel ». De fait nous nous tournons vers le Père qui est aux cieux, et nous sommes appelés à nous constituer un trésor dans le ciel, où ni la rouille ni la vermine ne pourront le consumer. De ce même ciel, un ange descendra pour consoler Jésus à l’heure de l’angoisse dans le jardin des Oliviers. Une fois accomplie sa mission, il se séparera de ses disciples en les bénissant, et il sera élevé dans les cieux. Le ciel signifie ici cette dimension ultime qui est au-delà de toute polarité, et qui est la réalité même de Dieu. Notre âme a soif de lui, après lui languit notre chair, comme une terre aride, altérée et sans eau (ps. 63, 2). Ce ciel est le terme de tout désir ; l’enfer serait de le manquer, le paradis de le rejoindre. Il ne s’agit pas, bien entendu, de quitter un lieu pour pénétrer dans un autre. Ce n’est pas d’un lieu dont il s’agit. Ainsi, même le ciel où nous affirmons que la Vierge a été assumée corps et âme, n’est pas un lieu. Il est au-delà. C’est le mystère même de la plénitude de lumière et de béatitude qu’est Dieu, de toute éternité. De même que le ciel n’est qu’un signe pour évoquer ce qui est au-delà, de même, toutes les paroles employées pour dire le mystère de Dieu se révèlent absolument inadéquates.

Malgré les nombreuses limites, nous sommes tous appelés à faire partie de cette plénitude. Comment y parvenir ? Certes pas en niant la bonté de la création dans l’opposition du ciel et de la terre. Marie a mis à disposition de Dieu sa chair, ses fragiles entrailles, et elle est devenue la mère du Fils du Très-Haut. Elle a signalé le souci des époux de Cana du fait que le vin était venu à manquer, et elle en a fait part à Jésus. L’évangéliste Jean nous dit qu’elle a su rester proche de son fils, y compris à l’heure de la crucifixion et de la mort. Si l’humilité a un rapport avec l’humus, avec la terre, nous pouvons dire de Marie qu’elle est restée fidèle jusqu’à la fin. Il n’a pas dû être simple de rester proche d’un fils qui proclamait que sa mère, ses frères et ses soeurs étaient ceux qui accomplissaient la volonté de Dieu. Elle a sans cesse été appelée à aller au-delà. Et elle l’a fait. Il y a en elle une mystérieuse plénitude, une extraordinaire capacité à intégrer les contraires. Et pourtant, cela ne suffira jamais à expliquer son assomption dans le ciel. Cette qualité de plénitude est un pur don d’en-Haut. Ce qui s’est réalisé par effet de la grâce pure, c’est cela même qui nous est promis. La femme lumineuse de l’Apocalypse apparaît aux yeux de notre foi comme l’accomplissement anticipé de ce que Dieu a promis pour chacun d’entre nous. L’invitation de l’ange a Marie : « Réjouis-toi » ne se limite certes pas au bref moment de l’annonce, mais elle embrasse toute la parabole de sa vie, jusqu’à son assomption dans la gloire.

Aujourd’hui, cette invitation : « Réjouis-toi ! » s’adresse aussi à nous, à tous les croyants. Frères et soeurs, accueillons cette invitation, et marchons dans la joie et l’espérance !

Références bibliques :

Référence des chants :

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