Depuis la nuit des temps, les étoiles ont fasciné le regard et le coeur des humains. Depuis toujours, le ciel brillant d’étoiles semble veiller chaque nuit sur le destin de nos plus lointains ancêtres. Très tôt, certaines étoiles ont servi de point de repère pour les mouvements des peuples nomades, puis pour les navigateurs qui s’avançaient à l’aventure sur la mer. Plus proches de nous, les pionniers de l’aviation et notamment Saint-Exupéry, nous ont livré leurs méditations au cours des vols de nuit, quand ils se retrouvaient tout seuls, coupés de tout, au-dessus des Océans, comme s’il ne leur restait plus rien que la protection familière et presque maternelle des étoiles. Les étoiles ont également acquis très tôt une place privilégiée dans l’imaginaire religieux des hommes : beaucoup de temples païens ont voulu symboliser dans leur architecture la voûte étoilée et nos églises d’Occident avec leur clefs de voûtes qui ressemblent à des étoiles ou les églises d’Orient avec leurs coupoles constellées d’éclats dorés, sont autant d’indices montrant comment l’étoile joue dans l’imaginaire humain un rôle de repère et d’ancrage pour l’enracinement de l’homme dans le cosmos. Et que dire de cette angoisse trouble et torturée des hommes à propos de leur avenir et de leur destin qu’ils cherchaient à lire dans le mouvement des étoiles et qui revient en force aujourd’hui à travers le culte naïf et dérisoire de l’horoscope ?

La démarche des mages n’est donc pas si extraordinaire que cela, si on la réfère à cette fascination symbolique de l’étoile. Ne nous y trompons pas : il y a en chacun de nous, chrétien, païen ou athée, un mage qui suit obstinément son étoile, un homme religieux qui croit « à sa bonne étoile » et qui éprouve le besoin de ressentir cette protection et cette sécurité d’une présence céleste qui guide son destin. Comme les mages, beaucoup d’hommes sont partis à la recherche de Dieu, essayant de deviner dans le ciel et les étoiles comme dans un miroir leurs inquiétudes et les angoisses de leur coeur. Les mages du récit évangélique, c’est l’humanité, c’est nous, livrés à tous les risques de la vie, incapables de maîtriser notre destin, brûlés par le désir de percer les énigmes du monde et le mystère de Dieu et pourtant convaincus de ne pouvoir trouver la clef de l’énigme que dans un ailleurs dont l’étoile est le symbole discret, inaccessible et omniprésent : dans cette situation, Dieu se manifeste à l’homme, comme le transcendant, l’inaccessible, l’infini, le « sans-visage » …

Ce qui est sûr, c’est que la démarche des mages les conduit précisément là où ils s’y attendaient le moins : au pied d’un enfant nouveau-né, d’un être de la même humanité, pétri de la même chair et du même sang que les leurs. L’étoile qu’ils avaient suivie est devenue pour eux le visage et le regard d’un petit enfant. D’un seul coup, tout est changé, la situation est renversée. Jusqu’ici, Dieu se laissait deviner dans la lointaine transcendance du ciel et voici qu’il est là. Voici qu’il est entré dans la condition même de ceux qui le cherchaient : Dieu de plain-pied avec les hommes. Jusqu’ici, “voir Dieu” c’était risquer la mort, les hommes ne savaient pas comment le nommer, et voici qu’il entre personnellement dans la condition de l’homme pour en prendre le visage. Jusqu’ici, Dieu semblait peser sur la vie de l’homme comme un destin tout puissant qui le manipulait à son gré, et voici qu’il entre lui-même dans la fragilité d’une liberté humaine, exposé à tout, vulnérable : Dieu en exil, Dieu sans domicile fixe …

Les mages sont les premiers membres d’une nouvelle humanité, de cette humanité que nous sommes aujourd’hui. Il y va de la singularité absolue et unique de notre foi chrétienne par rapport à toutes les autres démarches religieuses, si respectables soient-elles : croire en un Dieu qui prend le risque de l’humanité ; un Dieu qui bascule de tout le poids de son amour dans la proximité sans défense au milieu de ses frères. Le Dieu des immensités célestes et des étoiles a pris un visage comme le nôtre : visage innocent de l’enfant dans le berceau de Bethléem, visage de l’adolescent qui s’inquiète et s’interroge sur son avenir et sur les grandes questions de la destinée humaine ; visage du maître qui scrute le coeur des disicples qu’il appelle en ouvrant leur coeur au mystère de son Royaume ; visage du prophète dont la parole est brûlante au point de devenir “dure à entendre”, intolérable ; visage du condamné tourné en dérision et victime du mépris des pouvoirs établis ; visage du moribond qui hurle publiquement sa souffrance dans l’abandon et la solitude de la croix ; visage du Ressuscité qui ouvre aux hommes la douceur du salut et du pardon. Le Dieu du ciel et des étoiles a pris un visage d’homme, celui que les mages ont contemplé en notre nom à tous, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité …

Il semble que, devant un tel événement, l’histoire du monde aurait pu s’immobiliser : comment imaginer une telle rencontre ? Dieu au coin de ma rue ! Dieu à portée de main ! Dieu à portée de coeur ! Dieu même à portée des coups de la violence humaine ! Et pourtant, non, tout semble continuer comme avant : Dieu n’est pas plutôt entré dans sa création que les innocents de Bethléem sont massacrés et que le cours du monde avec ses flots d’horreurs et de sang, avec ses larmes et ses cris d’effroi continue comme avant, comme si de rien n’était. À moins qu’il ne s’agisse d’une chose plus extraordinaire encore, d’un projet plus ambitieux de la part de Dieu. Si les mages sont passés de la contemplation des étoiles à celle d’un visage d’enfant et s’ils ont reconnu dans ce visage le Dieu même qu’ils cherchaient, c’était parce que Dieu lui-même voulait que tout visage humain devienne le visage d’un frère : Dieu veut que tout visage humain devienne à son tour une étoile. Oui, pour nous désormais, c’est l’humanité de nos visages qui doit devenir par grâce une manifestation, une épiphanie de la présence divine au coeur du monde ! Le prodige de Bethléem est devenu la loi de l’existence chrétienne : chaque visage d’homme dans son humanité même devient une étoile. Il n’y aura plus désormais d’autre chemin pour chercher Dieu que le visage de nos frères, que l’humanité de nos frères.

Terrible et merveilleux chemin que celui de cette découverte : la quête religieuse de l’homme n’aura plus désormais à chercher les signes de Dieu ou les signes des temps dans le ciel, fût-il clair et lumineux comme celui de ces nuits provençales que peignait Van Gogh. L’homme n’a plus d’autre ciel que la plénitude de son humanité, telle que Jésus-Christ la lui a révélée. L’homme ne connaît pas d’étoile plus lumineuse que l’amour à recevoir du visage de Dieu ou du visage d’un frère. Et pour l’Église qui ne cesse de naître au fil de l’histoire, pour l’Église d’aujourd’hui, quelle exigence : elle n’aura pas d’autre moyen de retrouver le sens de sa mission qu’en acceptant de retrouver son vrai visage, son visage d’humanité : pas de masque, ni de faux-semblants. L’Égise doit laisser renaître en elle et faire renaître en chacun de nous ce visage d’humanité tel qu’il a resplendi aux yeux des mages sur la face d’un enfant. Alors peut-être, notre monde dans sa nuit, si souvent lieu de folie, de haine et de désespoir, pourra-t-il commencer à retrouver cette beauté qui surprenait Van Gogh sur cette terre, lorsqu’il peignait dans les mêmes tourbillons de couleur la danse des étoiles au ciel et les ondulations frémissantes des moissons sur la terre, dans la chaude atmosphère de notre Provence. Amen !

Références bibliques :

Référence des chants :

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