Nous les avons bien retenues, n’est-ce pas, les paroles que saint Jean met sur les lèvres de Jésus. Ce jeudi soir, Jésus prononce des paroles graves comme un adieu, une dernière recommandation – c’était la veille de sa mort – un testament en somme, qu’il résume dans une prière insistante pour ses disciples : « Père, fais que leur unité soit parfaite, qu’ils soient un comme toi et moi nous sommes un ».

On comprend l’émotion avec laquelle Jean l’évangéliste transmet ces paroles, quelque soixante ans plus tard, à des chrétiens d’Asie mineure. Jean est très inquiet pour eux. Ces jeunes communautés ne méritent déjà plus le nom de communautés, tant elles se divisent. Elles font de leurs différences des causes de tristes conflits.

Tristes conflits, mais c’est aujourd’hui encore, 2000 ans plus tard, parmi les chrétiens que nous sommes. C’est comme si les paroles de Jésus s’étaient perdues au long des siècles. Oui, comme nous semblons loin du souhait de Jésus. Les divisions historiques, protestants, orthodoxes, catholiques, ne sont pas résolues, malgré les grands progrès de l’œcuménisme. Et nous-mêmes, dans nos paroisses, donnons-nous toujours l’image de cette unité que souhaitait le Seigneur ? Reconnaissons plutôt que nous sommes loin de l’unité parfaite que nous rappelle l’évangile de ce dimanche.

Nous avons bien besoin de réentendre les dernières paroles de Jésus. Nous sommes là pour cela.

Besoin de les réentendre, besoin surtout de les comprendre. L’unité… de quelle unité s’agit-il ? Je ne vous apprends rien. Quand on dit unité, on ne veut pas dire uniformité. Il faut accepter la diversité, les différences. Une unité, oui, malgré nos différences, ou plutôt qui s’enrichit de nos différences.

Dans un de ses livres, Jean Sulivan écrit cette belle petite parabole. « La vérité, dit-il, c’est comme une immense verrière tombée à terre, éclatée en mille morceaux de verre de toutes les couleurs. Regardez-les, ces gens qui se précipitent, qui prennent un éclat de verre, qui le brandissent en disant : "Je détiens la vérité". Insensés, il faudrait rassembler tous les éclats, les souder du ciment de l’amitié et la verrière ferait chanter la lumière ».

Oui, c’est cela l’unité authentique voulue par Jésus. Pas une unité de discipline (Je ne veux voir qu’une seule tête !). Non pas « marcher au pas », mais faire route ensemble, malgré nos différences. L’Église a cédé parfois à cette tentation disciplinaire. Gravement, quand la défense de la prétendue unité, contre les hérésies par exemple, a fait couler le sang et les larmes. Regrettable aussi, quand des hommes, des grands penseurs, des théologiens ont été réduits au silence, parce que simplement on ne voulait pas entendre leur différence.

Je le dis et, en même temps, je trouve que c’est un peu facile de dénoncer les erreurs historiques de notre Église, si nous oublions de reconnaître la piètre manière que nous avons nous-mêmes, à notre échelle, de vivre l’unité voulue par le Christ, dans nos églises, dans nos paroisses, entre chrétiens, entre prêtres. Une communauté chrétienne doit accepter en elle la confrontation, le dialogue, le débat, c’est cela donner le visage de la véritable unité.

Un visage, un signe dont nos sociétés ont bien besoin, car elles connaissent elles aussi la même tentation : refuser les différences dans un enfermement qui fait percevoir d’emblée l’étranger comme un ennemi. Nous sommes en pleine actualité. Si les chrétiens ont un service à rendre au monde, c’est d’offrir le visage d’une unité riche de leurs différences.

Je disais tout à l’heure, besoin de réentendre les paroles du Christ, besoin de les comprendre, mais comment les vivre ?

Comment les vivre ? J’ai envie de dire : d’abord y croire, et puis poser des actes qui en témoignent et enfin créer des communautés qui le vivent.

Y croire, comme on croit à une promesse, fameuse promesse. La prière de Jésus, le vœu de Jésus pour les siens est porteur de la plus haute ambition, une ambition démesurée. Vous vous rendez compte : « Que leur unité soit parfaite, qu’ils soient un comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi ». Serait-ce donc que c’est l’amour qui est en Dieu qui va animer les disciples de Jésus et les unir entre eux ?

Y croire, c’est croire que l’on dispose en effet de cette énergie divine, l’Esprit d’amour, l’Esprit Saint. Y croire, c’est se fier à cette présence mystérieuse, impalpable, et pourtant constante et réelle. Y croire, c’est le demander dans la prière.

Jésus nous a laissé pour traverser la vie et les siècles le secret d’une prière brève. Les deux premiers mots, Notre Père, disent tout. Ils invitent à comprendre que tous les hommes sont une seule famille. Y croire, c’est croire cela.

Il faut aussi poser des actes qui en témoignent. Je n’ai plus le temps de les évoquer. C’est chacun de nous qui sait comment, il traduit cette recherche de l’unité dans sa famille, son quartier, sa profession et dans ses engagements de solidarité.

Enfin, créer des communautés qui le vivent. Elles sont innombrables. Pas le temps non plus de les évoquer. J’en retiens une, une seulement. C’est ici, aujourd’hui, maintenant, l’assemblée que nous formons ce matin dans cette église Notre-Dame-Saint-Vincent. Une unité dans les différences, Oh combien ! Regardez comme nous sommes différents, par l’âge, les générations, les professions, le statut social. Enrichis en plus, ce matin, par la présence de nos frères et sœurs non-voyants. Enrichis par vous, chers amis téléspectateurs. Vous êtes des centaines de milliers devant votre écran de télévision, tous aussi différents. Vous êtes là, madame, que la mauvaise santé retient à la maison Vous êtes là, René, dans votre cellule de prison. Tu es là, Maurice, dans ta salle de séjour, tu me l’as dit. Amis connus et inconnus, nous sommes unis malgré nos différences. Ce qui nous rassemble ce matin, c’est l’écoute d’une même Parole, c’est l’attention à une même Présence, la communion au même Pain de vie, le partage du même Repas de l’amour.

Puisse cette communauté du dimanche nous donner l’envie et le courage de vivre en frères, là où nous vivons, tous les jours de la semaine.

Références bibliques : Ac 7, 55-60 ; Ap 22, 12-20 ; Jn 17, 20-26

Référence des chants :

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