EN UNE ATTENTE ARDENTE

Les exigences de Jean-Baptiste envers ceux qui viennent le trouver nous paraissent naturelles, évidentes : on ne peut quand même pas s’approcher de Dieu en continuant à extorquer les populations, ou en gardant frileusement pour soi des biens dont on n’a pas l’usage !

La marche vers Dieu passe par des obligations de justice et de solidarité, sinon elle couvrirait des iniquités. Dieu patronnerait alors le succès des puissants et le conservatisme des riches. La morale du Baptiste indique déjà vers où chercher la véritable présence de Dieu.

Il y a plus : Jean vit en ascète. Il n’a qu’un manteau en poil de chameau, il ne commande aucune armée. Et malgré sa fidélité à ce qu’il prêche, il continue à se sentir indigne du geste de l’esclave : dénouer les courroies des sandales du Messie. Car l’Envoyé de Dieu dépasse hautement la dignité du comportement de ce prophète.

La situation du Baptiste est étrange : sa parole rigoureuse est entendue et, semble-t-il suivie, sauf par la cour dissolue d’Hérode Antipas, bien que ce prince ne dédaigne pas d’aller discrètement le consulter. Bien des prophètes n’ont jamais rencontré telle audience. Cependant, il mesure son indignité non point comme Isaïe devant la majesté de Dieu, ni comme Jérémie hésitant devant le message à transmettre, il juge de son indignité à la présence terrestre, en notre chair d’humanité, du Christ, l’Envoyé de Dieu. De cette position, l’Evangile dira qu’elle est un "signe".

Elle est d’abord signe du Christ. La Voix qui crie dans le désert prépare la venue du Verbe. La parole naît dans le silence qui la précède. Elle y résonne. Le Verbe dépasse les mots, il est le souffle du dialogue, le mouvement de la rencontre, l’âme des paroles. Le Christ ira jusqu’au bout de l’émission du Verbe, jusqu’à remettre son souffle à son Père au moment où la crucifixion l’étouffe. Hérode tranche la voix qui annonce, comme Jésus expire après un cri de naissance. La parole libre est étranglée. Le désert de Jean marqué de son sang, le long samedi du sépulcre : le grain jeté en terre paraît pourrir aux yeux superficiels, il germe en résurrection, non plus isolé mais en communion féconde. Ainsi l’attitude de Jean est-elle signe de la vie de l’Eglise, servante de la Parole.

Il existe une relation vitale entre le signe donné par Jean et la vie religieuse consacrée. Cette vie appartient "à la nature de l’Eglise". Donc l’Eglise ne peut pas s’en passer pour être elle-même fidèle à l’évangile.

On ne peut pas limiter la vie de l’Eglise à son efficacité ni même à l’utilité des services qu’elle rend, si grands soient-ils. Certes le Christ demande à ses disciples de "porter du fruit", il leur recommande plusieurs fois de "veiller". Pas seulement parce que toute institution décline inévitablement vers l’établissement, la complexité, l’éloignement du terrain… La vigilance serait alors un utile réveil.

Davantage, la vigilance signifie que nous sommes toujours dans le temps d’un Avent. Nous ne voyons pas le Christ. Notre désir pleure – heureuse béatitude – celui qui lui manque. L’Eglise vit les fiançailles, les épousailles sont encore en attente, car l’Epoux est absent. Chaque rencontre manifeste la présence de l’Epoux, mais à travers des sacrements et des signes qui soulignent aussi sa distance et voilent l’ardeur du face-à-face. La vie consacrée maintient l’Eglise en état de désir, en signe de l’espérance. Comme le Baptiste ébloui et humble devant le Christ.

La tentation se lève toujours de limiter la présence religieuse aux activités utilitaires, comme si pour être institutrice ou animatrice il fallait aussi devenir religieuse ! Comment justifier alors la vie contemplative ? Mais n’y a-t-il qu’une utilité rentable ? N’y a-t-il pas aussi une signification indispensable, féconde, de donner à l’homme, à la société, le signe visible de ne pas s’enfermer dans la production, de ne pas idolâtrer l’utilitaire pour accéder à la libre rencontre, à cet espace où la gravité de l’existence se joue dans un don sans reprise ? Qui dira l’absolu du mystère qui habite l’homme ?

La vie religieuse pointe, dans l’Eglise, vers le Christ jamais possédé, toujours plus loin même dans l’acte où il s’approche, comme bondit sur les collines le fiancé attendu. Elle rappelle donc à l’Eglise son bienheureux inachèvement. Elle l’invite à désirer le Royaume.

Ne pensez pas que cette vigilance, cette place de Jean-Baptiste, ne dise rien à nos contemporains. La pauvreté augmente et la précarité blesse le travail. Devant l’opulence qui s’étale, que vaut une existence blessée de manques et de disette ? Qui n’a pleuré de solitude parce qu’un amour s’effilochait et se mourait ? Qui n’a jamais été écrasé par des paroles qui le traitaient en objet à déplacer, à manipuler ? L’argent, le sexe et la parole peuvent deshumaniser.

Et là, en ces lieux où l’homme se dégrade, à la suite du Christ, des hommes et des femmes se consacrent à une fraternelle présence. Car ce qui blesse un homme atteint en eux l’image du Christ. La proximité appartient donc à cette mission d’incarner l’amour de Dieu. La vie consacrée vise la source où Dieu s’approche et se livre. Elle évoque le baptême où naissent les exigences de l’Evangile.

Or cette proximité appelle un infini respect. Si le Baptiste ne peut dénouer les chaussures du Christ, aucun service ne peut s’imposer au point d’aliéner l’autre. La distance est indispensable à toute relation, y compris entre le Christ et son Eglise. Il faut du désert pour que l’autre apparaisse comme unique.

Au sein des actions pastorales d’un diocèse où tant de prêtres, de diacres et de laïcs se donnent avec persévérance, la vie contemplative souligne combien l’autre, le frère, le voisin, l’inconnu, se tient au-delà de toute emprise, face au mystère de Dieu qui l’attire et parle à son coeur. Au centre des actions nécessaires, mais plus fondamental qu’elles, palpite le vif désir du face-à-face, patiemment cherché à travers les déserts où brûle parfois un buisson de feu.

Le quotidien de ce qu’il faut faire s’incline pour attendre la venue de Celui qui épouse nos désirs.

Références bibliques :

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