Il s’en est fallu d’ un regard et de deux mots pour que tout bascule dans la vie de Matthieu.

Un regard dont la force transperce la carapace de nos apparences… un regard, dont la tendresse nous fait découvrir combien nous sommes importants aux yeux de Celui qui nous aime… un regard, dont l’acuité nous appelle à nous dépasser nous-mêmes.

Deux mots… Deux mots qui claquent comme un coup de fouet dans cet estaminet de Capharnaüm, la ville de tous les commerces et de toutes les misères…

Deux mots qui s’adressent à l’un des hommes les plus honnis de la société juive… Pensez donc : le collecteur d’impôts, non seulement collabore avec l’occupant romain, mais il est bien souvent aussi soupçonné de corruption !

Deux mots qui viennent bouleverser le train-train de la vie quotidienne et ouvrent à l’aventure.

« Suis-moi. » Et Matthieu de quitter son siège, signe de sa fonction, pour se lever et se mettre en route …

* *

Et les voilà tous deux réunis pour faire la fête avec tous les amis qui rappliquent.

Oh, bien sûr ! Un tel spectacle vient heurter tous les « bien-pensants », les « bien-sous-tous-rapports », tous ceux qui se permettent de juger les personnes à la seule vue de leurs actes, n’hésitant pas à les enfermer dans des étiquettes qui sonnent comme des condamnations : délinquants, voyous, racaille…

Jésus n’a que faire des étiquettes. Il regarde l’homme, non pas à l’apparence mais au cœur. Il n’est pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs. Il croit par amour que le changement est toujours possible. Il ne cesse d’inviter à espérer contre toute espérance.

À toutes les époques, et la nôtre ne fait pas exception, des hommes, même parmi les chrétiens, ont parfois tendance à s’ériger en donneurs de leçons, plutôt qu’à être témoins de miséricorde à l’égard de leurs frères les plus fragiles, tous les blessés de la vie, les blessés de l’amour.

Oui, il arrive qu’une telle tentation surgisse au fond de notre cœur… Combien il est nécessaire alors de réentendre cette parole d’Osée, reprise par Jésus : c’est la miséricorde que je désire…

* *

« Suis-moi. » C’est à chacune, chacun d’entre nous que ces deux mots s’adressent aujourd’hui. Jésus nous invite à mettre nos pas dans les siens, à devenir témoins dans le monde de sa miséricorde infinie.

On entend souvent dire aujourd’hui qu’il y a une crise des vocations dans l’Église. Mais il n’y a pas de crise des vocations. Il y a une crise des réponses à la vocation ! Car l’appel ne cesse de retentir. Mais les mirages de cette vie moderne si bruyante étouffent parfois la capacité d’entendre et de répondre…

* *

« Suis-moi. » Comme il fait bon entendre ces deux mots dans le silence de cette abbaye, vieille de deux siècles, qui a su traverser les turbulences de deux guerres. Ici le silence, loin d’isoler les hommes, les rassemble… Comme il fait bon se tenir silencieux au milieu de ces frères, qui, à l’exemple de Matthieu, ont accepté de tout quitter pour le suivre… et qui, par amour pour Dieu, sont devenus ainsi amoureux de ce lieu et de leurs frères…

Certes, dans ce monde où le développement tout azimut des facilités de crédit laisse croire à tant et tant que tout peut s’acheter tout de suite, choisir la pauvreté peut sembler une provocation.

Dans ce monde où un discours prétendument psychologique illusionne tant et tant de jeunes en laissant croire que l’épanouissement provient de la multiplicité des expériences amoureuses, choisir la chasteté dans le célibat peut paraître aberration d’un autre âge.

Dans ce monde où l’astuce des dirigeants consiste si souvent à faire croire aux dirigés qu’eux-mêmes prennent les décisions, choisir l’obéissance a des relents d’infantilisme.

Mais peut-être est-ce justement parce qu’elle est de moins en moins comprise que la vie religieuse est de plus en plus essentielle, car elle revêt alors avec vigueur ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : une interpellation. Il ne s’agit pas bien sûr de condamner la propriété, l’amour humain et le pouvoir. Car chacun sait que l’homme se réalise dans l’exercice des responsabilités et qu’il n’existe rien de plus beau sur cette terre que l’amour.

Mais en ne respectant pas les clauses que l’homme croit indispensable à la construction du bonheur, le moine, qui choisit d’adopter la condition des plus petits de ses frères, montre que le vrai bonheur est possible pour tous…

Car si la vie religieuse continue d’être, dans notre société, force d’interpellation – preuve en est le rayonnement de cette abbaye du Mont-des-Cats – c’est parce qu’elle est chemin de bonheur. En renonçant à ce qui apparemment fait le bonheur de l’homme, pour se mettre totalement au service de l’Évangile du Christ, voici que le cœur des messagers s’ouvre tout entier à la joie du message…

Et cette joie-là, frères, nul ne pourra vous la ravir !

Références bibliques : 0s 6, 3-6 ; Ps 49 ; Rm 4, 18-25 ; Mt 9, 9-13

Référence des chants :

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