« Le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ». Quel est donc ce « bon combat » dont parle Paul à Timothée ? Et quel pourrait être, pour nous aujourd’hui, le bon combat de la foi ? Il y a huit cents ans, dans le delta du Nil, les croisés croyaient fermement savoir quel était le combat à mener. Il fallait reconquérir les Lieux Saints, délivrer le tombeau du Christ des mains des Sarrasins. Le Pape lui-même, en décidant une cinquième croisade, lui avait assigné cet objectif. Tous les jeunes chevaliers, fiers et courageux, en étaient convaincus.

Aujourd’hui encore, beaucoup de jeunes, religieux ou athées, sont prêts à s’engager pour une noble cause, souvent humanitaire ou environnementale, par solidarité avec les plus pauvres, par désir d’aventure ou soif d’idéal. Il arrive hélas, nous ne le savons que trop, que ce bel élan se laisse détourner à des fins idéologiques d’autant plus radicales et meurtrières qu’elles sont déguisées en propagandes religieuses.

François d’Assise connaissait bien la fougue de cet esprit chevaleresque qui avait enchanté sa jeunesse. Mais depuis qu’il avait rencontré Dame Pauvreté, tout avait changé. Désormais, l’idéal de sa vie n’était plus le combat des uns contre les autres, mais la rencontre des uns avec les autres. Il voguait donc vers Damiette avec les croisés, mais son cap était autre : il voulait aller à la rencontre du Sultan, pour lui chanter la beauté de l’Évangile et, si possible, fût-ce au prix du martyre, entraîner sa conversion à la foi des chrétiens.

Tel était le « bon combat » que François voulait mener, convaincu que l’unité est, par-delà les différences, ce qu’il y a de plus profond dans la création. Alors un matin, bravant les peurs et les interdits, il quitta le camp avec frère Illuminé. Mais Dieu, qui seul connaît le combat que chacun doit mener parce qu’Il le mène à ses côtés, n’avait pas dit son dernier mot !

Certes, ils furent reçus pendant plusieurs jours par le Sultan Malik-al-Kâmil, homme courtois et attentionné, sur qui le charme de François fit, sans nul doute, un réel effet. Mais il n’obtint ni le martyre auquel il aspirait, ni la conversion du Sultan pour laquelle il avait prié. Et pourtant, si les deux frères rentrèrent « bredouilles », quelque chose s’était passé : Dieu s’était montré plus grand !

Dans cette rencontre où Il les attendait, l’Esprit Saint avait élargi les désirs de leurs cœurs. Dès lors, s’ils l’acceptaient avec humilité, leur échec pouvait devenir porteur d’une promesse, celle d’une lointaine fécondité que personne ne pouvait encore entrevoir.

Pour François, le voyage de retour fut comme une longue migration vers l’intérieur de lui-même. Le Christ l’attendait ailleurs, sur l’Alverne, pour l’inviter à entrer dans l’étonnante fécondité de son Mystère pascal auquel tous les hommes, par l’Esprit Saint, peuvent être associés, d’une façon que Dieu connaît, quelles que soient leurs cultures et leurs religions.

Huit siècles ont passé. Chrétiens et musulmans, « nous avons trop longtemps nourri notre imaginaire de mythes hérités d’un passé que chacun voulait exemplaire pour soi et diabolique pour l’autre », écrivait Pierre Claverie. Le combat le plus difficile, le « bon combat », c’est celui que chacun doit mener en lui-même pour se convertir à la miséricorde de Dieu. Notre époque, malgré les sombres nouvelles qui régulièrement hantent notre actualité, est riche d’artisans du dialogue, courtois et persévérants, humbles et vrais comme le Publicain de l’Évangile.

Aujourd’hui, trente-trois ans après la rencontre d’Assise, le 27 octobre 1986, rendons grâces à Dieu ! Car il y a huit siècles, dans les murs de l’orgueil et de l’autosuffisance, plus épais que les remparts de Damiette, un chrétien et un musulman, François et Malik-al-Kâmil, ont ouvert une brèche où s’est peu à peu engouffré le souffle de l’esprit d’Assise.  Amen !

 

Références bibliques : Si 35, 15b-17.20-22a  – 2 Tm 4, 6-8.16-18 – Lc 18, 9-14

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