« Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? » La question est un piège – elle commence d’ailleurs par une flatterie : « tu es toujours vrai, tu ne te laisses pas influencer… » Mt 22, 16. Elle ressemble aux flatteries de Blase faussement adressées à Don Salluste dans La folie des grandeurs, entre Yves Montant et Louis de Funès.

« Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César ? » Mt 22, 17. La question est aussi sans subtilité. Est-il permis, oui ou non ? Est-il permis, oui ou non, de manger de la viande le vendredi ou faut-il manger du poisson pané ? Est-il permis, oui ou non, de tomber amoureux « hors les cadres » ? de gagner de l’argent ? Est-il permis, oui ou non… et patati et patata ! J’étais il y a un mois à un festival en plein air dans le sud-Essonne, à Chap’co. Masqué bien sûr ! La nuit tombée, entre les ballots de paille qui servaient de bancs et en écoutant de la musique des Balkans, Sophie disait sa méfiance du prêchi-prêcha de l’Eglise. Elle s’en est d’ailleurs éloignée à cause de ça : « on n’en finit pas, dit-elle – comme tant d’autres – de ces questions moralisantes qui dictent ce qu’il faut faire ou pas ». Et c’est vrai : ces petites morales ne sont pas que celles des pharisiens, on les a aussi dans l’Eglise et dans tant de « milieux autorisés » comme disait Coluche. A bien des égards, ces petites morales ressemblent à des salades !

Si dans son Evangile Matthieu relate cette discussion entre Jésus et les pharisiens, ce n’est donc pas pour la question, inintéressante, c’est pour le souffle de la réponse, passionnante.

« Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est Dieu » Mt 22, 21. Que peut vouloir dire cette expression « rendre à Dieu ce qui est à Dieu » ? D’après la définition du Larousse et de Wikipédia, « rendre » signifie « donner en retour ce qui a été reçu ». Mais qu’avons-nous reçu de Dieu ? La Vie bien sûr ! Mais pourquoi Dieu aurait-il désormais besoin de ce qu’il nous a donné gratuitement ? Pourquoi faudrait-il lui rendre ce qu’il nous a donné ?

Le bon François de Rome, dans l’élan du bon François d’Assise, propose une clé de compréhension dans son papier Laudato si’. En fait d’après lui, cette réponse du Christ, c’est la proposition d’un chemin en 4 étapes : La première étape est de s’émerveiller du monde : comme Jules, un ami viticulteur en Champagne, qui a bien de quoi s’émerveiller : 54 ans aujourd’hui, ça donne tellement de raisons de dire merci à Dieu pour toute cette vie reçue de Lui… jusqu’à l’herbe qui pousse sous la pluie. Oui, s’émerveiller ! Au boulot, en famille, en ayant communié pour la première fois hier comme Giovanna et Guillaume ici avec nous ce matin…

La seconde étape est de se laisser toucher par le blessé, parce qu’il y a aussi de quoi s’indigner ! En avançant en âge dans la vie, il y a en effet tellement de raisons de constater la dureté du chemin : comme la situation misérable des migrants fuyant l’invivable chez eux pour tenter une « nouvelle » vie ailleurs, ici ou au loin. Comme les vies qui s’arrêtent brutalement ou alors si lentement, avec ou sans Covid. Comme les trucs nous tombant dessus sans les voir venir et qu’il faut pourtant assumer. Comme la planète collectionnant ses propres records : l’été le plus chaud, l’été le plus sec, la neige en septembre… Oui, se laisser toucher calmement par notre propre blessure, celle du monde et celle des autres. Se laisser toucher par les larmes.

La troisième étape est de nous interroger : « comment en est-on arrivé là ? » Est-ce le cycle normal de la vie ou avons-nous une responsabilité ? Quel levier dépend de nous ? Que pouvons-nous faire et que pouvons-nous accepter et pardonner pour que tout puisse continuer, pour que la vie soit toujours vivable ? La dernière étape est de réorienter notre chemin à partir de ce constat : Tous frères ! FT 1

Ces 4 étapes font parties de ce qu’on appelle « la doctrine sociale de l’Eglise » : comme toujours, loin d’être une liste de choses à faire – oui ou non ? – c’est la proposition d’une conversion, un chemin réorienté. Pour marcher de plus en plus vers la Vie, cet inouï de Dieu. A la question Qu’est-il permis de faire ?, le Christ répond donc de manière décalée : prendre une route réorientée pour nous construire à chacun un monde paisible. Dieu n’a pas besoin en réalité qu’on lui rende ce qu’il nous a donné (ce qu’il nous a donné est gratuit et définitif) : « rendre à Dieu » le trésor reçu de Lui – la Vie – c’est en fait le donner aux autres et à la planète après s’être laisser toucher par le beau et le blessé. Communiquer la Vie !

Et le bon François de Rome continue : cette route exigeante nous amène « à développer notre créativité et notre enthousiasme pour affronter les drames du monde » LS 220, dont les nôtres. J’aimerais dire tout ça à Sophie…

Parce que oui ! Il reste juste à nous émerveiller et à nous laisser toucher par la blessure du monde… avant de trouver des leviers d’actions pour réorienter notre chemin à tous, encore.

Ensemble, on va y arriver ! Yallah !

Références bibliques : Ez 18, 25-28– Ph. 2, 1-11– Mt21, 28-32

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