Sans doute est-il arrivé à certains d’entre vous de participer à un rallye automobile – vous savez, ce genre d’épreuve où l’on se rend d’un poste à l’autre, grâce à des messages plus ou moins faciles à décoder… ou bien, vous les jeunes, à un rallye pédestre, sous forme d’un grand jeu de piste. J’en ai, pour ma part, organisé plus d’un avec les adolescents du Valdocco. Et peut-être vous est-il arrivé alors de foncer dans une direction, que vous croyiez être bonne, lorsque, tout à coup, un de vos équipiers commence à faire germer le doute… Voici qu’il découvre l’interprétation d’une partie de message, restée jusque-là obscure, et la solution esquissée montre alors qu’il faut changer d’itinéraire. Furieux d’avoir effectué des kilomètres pour rien, vous faites demi-tour.

Si j’ai choisi cette anecdote en guise d’introduction, c’est qu’elle illustre bien à mes yeux les deux caractéristiques fondamentales du processus de conversion auquel Christ nous appelle. Tout d’abord, il s’agit de faire demi-tour. Il ne s’agit pas de changer en apparence, comme on convertit des fractions ou des mesures : les chiffres diffèrent, mais la valeur reste la même. Non, il s’agit d’un véritable retournement, au sens que ce mot "conversion" revêt dans le domaine du ski : cette manoeuvre, toujours un peu acrobatique pour le débutant, où il s’agit de s’arrêter et d’opérer un demi-tour, au risque de s’emmêler les planches !

Mais ce demi-tour s’effectue sur la parole d’un autre. C’est la confiance accordée à celui qui a découvert la solution qui vous pousse à effectuer la manoeuvre, car, s’il ne tenait qu’à vous, vous n’auriez guère remis en cause le choix de la direction.

"Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle !" Quel est donc ce retournement lié à l’adhésion à cette Bonne Nouvelle ?
Il s’agit d’abord d’une conversion du regard. Ne plus le tourner vers soi, mais le tourner vers l’autre.

Voilà plus de trente ans que, pour ma part, je travaille auprès de vous les jeunes. Et chaque fois que, comme ce matin, il m’est donné de m’adresser à vous, j’aime dire que je peux vous ranger en deux catégories : les TPMP (tout pour ma pomme) et les TVLA (tournés vers l’autre).

Vous vivez les mêmes situations, mais pas tout à fait de la même manière. Prenons un exemple au lycée : la remise des bulletins trimestriels. Deux lycéens obtiennent la même moyenne : 13,8. Le TPMP se réjouira de la récompense prévue par ses parents, le TVLA, lui, se dira : "Regarde Jérémy, il a travaillé plus que moi, et n’a obtenu que 8. Et si je prenais un peu de temps pour lui expliquer ce qu’il n’a pas compris …. !".

Et l’Évangile de nous dire : "Il y a finalement plus de bonheur à être TVLA plutôt que TPMP." Car celui qui pense construire son bonheur par ses acquisitions le verra menacé par l’épreuve, par la mort. Mais celui qui construit son bonheur par ses relations pourra compter sur ses amis dans l’épreuve et pourra être traversé par l’espérance pascale : la mort ne signifie pas la fin de l’histoire relationnelle. L’important, en termes de bonheur, ce n’est pas ce que l’on a, mais ce que l’on donne et ce que l’on reçoit, ce n’est pas ce que l’on possède, mais ce que l’on partage. Telle est la dynamique de l’alliance.

Il s’agit d’un total renversement de nos valeurs humaines. Nous sommes tellement habitués à juger la valeur des gens sur ce qu’ils ont : argent, diplôme, résidence secondaire… Jésus, par cette expérience du désert, nous révèle que c’est peut-être ce qui manque qui a le plus d’importance, car seul le manque peut conduire à l’échange, au partage. Voilà pourquoi le langage de la Bonne Nouvelle est celui de l’amour : car s’il est quelque chose qui jamais ne peut être possédé, mais seulement donné et reçu, c’est l’amour.

Tourner son regard vers l’autre, être porteur d’amour, c’est ne jamais l’enfermer dans ses conduites de l’instant, c’est lui permettre de changer. S’il est un adjectif que je n’utilise jamais dans mon vocabulaire d’éducateur spécialisé, c’est celui de délinquant pour qualifier un jeune. Et pourtant, bon nombre de jeunes que je côtoie au quotidien avec mon équipe ont commis des délits. Mais il est complètement différent de dire à un adolescent : "Tu as commis un délit" ou "Tu es un délinquant". Dans le premier cas, on parle de l’acte posé. Dans le second, on juge la personne. Toute ma posture d’éducateur salésien réside dans cette conviction : "tu as commis un délit, mais, pour moi, tu n’es pas un délinquant". Nous voilà ici plongés au coeur de la démarche du pardon. Pardonner, ce n’est pas oublier. Ce serait trop facile, et parfois, le devoir de mémoire s’impose. Pardonner, c’est rouvrir une perspective d’avenir, en maintenant la confiance.

Convertir son regard n’est pas chose facile. Où puiser la force pour effectuer un tel retournement ? L’Évangile d’aujourd’hui nous apporte une réponse claire : la prière. Regardons l’exemple de Jésus : lui qui, dès 12 ans, en savait suffisamment pour tenir la dragée haute aux docteurs de son temps, lui qu’une immense tâche attendait "annoncer la Bonne Nouvelle au monde", restera 18 années encore ignoré de tous, et au moment où, après son baptême, il reçoit une perception claire de sa mission, le voilà qui s’en va quarante jours, chiffre symbolique synonyme de durée, dans le désert. Quarante jours pour prier son Père en silence ! Et nous, qui sommes affairés à des tâches bien moins importantes et qui disons ne pas avoir de temps pour prier ! Se convertir, ce n’est pas d’abord faire des choses nouvelles, mais c’est se tourner vers Quelqu’un qui nous appelle chacune et chacun par notre nom. Cet appel n’est pas démobilisateur. Au contraire, il nous invite à tourner notre regard vers nos frères, en particulier ceux qui rencontrent le plus de difficulté sur leur route. Le prier nous invite au combat pour un monde plus juste et plus fraternel.

Non, Jésus n’a pas perdu son temps au désert, tandis qu’il priait le Père : il laissait grandir en lui l’amour, et c’est grâce à cet amour qu’il sauvera le monde.

Partage et prière, voilà les deux mots qui, selon moi, riment avec conversion. Alors, puisque cette année encore nous démarrons le temps du Carême, pourquoi n’essaierions-nous pas chaque jour de vivre un geste de partage et un moment de prière ? Que ce pain que nous allons partager ensemble, qui va devenir le Corps du Christ que nous prions ensemble, nous donne le courage et la joie d’entrer dans cette démarche !

Références bibliques :

Référence des chants :

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