La transfiguration, une expérience quotidienne

La transfiguration, c’est une expérience courante pour ceux qui savent voir. Plusieurs d’entre nous, croyants ou pas croyants, ont en effet déjà vécu cet événement : dans un visage de souffrance, on croise soudain un regard vivant ; dans un corps vieilli, on perçoit une intensité ; chez un être qui ne paie pas de mine, on voit la lumière d’une présence. La transfiguration exprime ce mystère vérifiable : dans la chair fragile, une ferveur, un éclat se laissent parfois constater.
 C’est que la chair dont nous sommes faits parle ; la chair témoigne que la vie qu’elle a accueillie se trouve bien en elle, mais que cette vie ne vient pas d’elle. La vie vient de plus loin que nous : ce qu’il y a de beau dans certains corps flétris, flageolants, c’est cette évidence de la vie alors que les apparences disent l’usure, la dégradation. La chair incapable de produire la vie est pourtant habitée par la vie, révélée par la vie. On en arrive à appeler beaux des êtres qui ne répondent à aucun critère habituel de la beauté, qui n’emploient aucune recette répertoriée de mise en forme.

Le visible de la chair : lieu où Dieu se manifeste

Jésus convie aujourd’hui trois de ses disciples à une expérience de ce type : percevoir, dans son corps connu, la lumière d’une vie qui vient d’ailleurs. Cette lumière n’est pas là à l’état de symptôme que seuls des spécialistes pourraient décrypter ; elle se manifeste largement dans tout ce qui fait la personne de Jésus : le corps, les vêtements. Elle s’étend même à l’espace qui entoure cette personne, là où d’autres personnes peuvent se tenir. Il y a de fait autour de Jésus Moïse et Élie. C’est à la révélation de sa personne incarnée que Jésus a invité les siens.
 Dieu a créé le visible et c’est là le lieu du mystère. Dans le visible, que bien peu savent voir, Dieu se révèle au quotidien. Et où se révèle-t-il de préférence ? Dans la chair de ceux qui l’accueillent. Est-ce dire que la chair des croyants est lumineuse tandis que celle des incroyants demeurerait opaque ? Non ! Nous sommes emmenés dans une réalité bien plus profonde.
 Il y a des gens qui, parfois sans connaître Dieu, ont compris que la vie vient de plus loin : on ne la maîtrise pas, on ne la fabrique pas. Alors toute leur chair se conforme à cette disposition. Leur chair devient poreuse à la vie venue d’ailleurs, elle s’ouvre, elle reçoit : et quelle beauté en eux ! Et puis il y en a d’autres (ils peuvent être des croyants) qui prétendent tout maîtriser : ce qu’ils paraissent, l’image qu’ils donnent, ils en font leur affaire. Ils ne reçoivent rien : ils se flattent de tirer d’eux-mêmes ce qu’ils sont. Leur chair se ferme : quel malaise ils dégagent ! Les psaumes dans l’Ancien Testament font souvent des constats cliniques de ces deux attitudes.

Dans l’Esprit Saint, le constat clinique de la vraie vie

Jésus est transfiguré aujourd’hui ; mais chaque jour, il exerce ses disciples à voir les êtres transfigurés que l’on croise dans les rues ; inversement, il les entraîne à déjouer les faux-semblants. On dit quelquefois que Jésus est le médecin des âmes ; or, il est d’abord le médecin des corps. Il enseigne à lire la chair, à l’étudier. Comment est-ce possible ? Uniquement dans l’Esprit Saint. Celui qui accueille la vie venue d’ailleurs, c’est l’Esprit en fait qu’il accueille. Et celui qui perçoit cette vie dans un être contre toute apparence, c’est par l’Esprit qu’il arrive à la percevoir. Que l’on soit croyant ou pas, quand on voit une lumière, une beauté, une noblesse dans une chair qui, apparemment, n’a rien pour elle, alors on fait une expérience de l’Esprit.
 Jésus éduque les siens à voir comme Dieu voit, dans la lumière de l’Esprit Saint dont lui-même est rempli. Qui aurait cru qu’une prostituée de village, apportant un parfum dont elle masse les pieds de Jésus-Christ, serait un jour présentée en pleine lumière, dans la beauté de son geste parfait ? Qui aurait cru qu’un bandit crucifié à côté de Jésus-Christ ferait briller pour nous la lumière du Paradis où il se rend avec Jésus ? Qui aurait cru qu’un corps crucifié, enterré, apparaîtrait dans la lumière du petit matin, au premier jour de la semaine ? Ce sont des expériences de transfiguration : la chair envahie par la vie venue du Père, la chair rendue vivante par l’Esprit, manifeste qu’elle n’a pas dit son dernier mot, qu’on n’a pas encore tout vu de sa gloire.

La transfiguration : un chemin à suivre

Après la transfiguration, les disciples ne voient plus que Jésus seul avec eux. Pas de tristesse ! Les disciples ont vu de manière claire "la gloire rayonnante" du Fils. C’est afin d’entrer eux-mêmes dans cette gloire de Fils du Père. Ils ne retournent pas à la grisaille du monde habituel comme si rien ne s’était passé : ils vont travailler à accueillir dans leur chair, plus profondément, cette lumière une fois montrée. C’est ce que les mystiques appellent la nuit : non pas une période de l’existence où il ne se passe rien, mais, dans l’obscurité du quotidien, un lent travail d’ouverture de la chair à la vie lumineuse qui vient de Dieu. Et aussi un apprentissage : apprendre à reconnaître la lumière de la vie chez ceux en qui elle brille et ne pas se laisser tromper par le clinquant des faux éclats. Jésus demande aux disciples de ne rien dire : la vie lumineuse qui vient de Dieu, il faut d’y être acclimaté soi-même avant d’en parler.
 La transfiguration n’est pas un miracle isolé : c’est un régime de vie. Dans ce qui n’a l’air de rien, la splendeur de Dieu s’installe. Nous allons d’ailleurs poursuivre dans ce registre : un peu de pain, un peu de vin, pas grand-chose. C’est pourtant la chair glorieuse du Christ, mine de rien.

Références bibliques :

Référence des chants :

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