"En toi j’ai mis tout mon amour"

Frères et soeurs dans le Christ,

En cette journée mondiale des migrants, nous sommes à Roubaix. Depuis longtemps terre de migrations, des populations de racines très différentes s’y côtoient journellement. Elles sont affrontées aux difficultés multiples de l’exclusion et du chômage, certes, mais elles manifestent aussi une volonté de vivre ensemble dans le respect de leurs différences, partageant entre elles et avec nous les richesses de leurs racines. Les célébrants et les assistants de cette célébration en sont l’illustration et, dans toutes les communautés chrétiennes, cette communion des cultures et des convictions chrétiennes est le coeur de la prière.

Toutefois, tous ne considèrent pas les migrants comme des frères en humanité et en spiritualité, y compris parmi nous, chrétiens. D’une part les uns restent défiants à l’égard des traditions et des moeurs venues d’ailleurs : elles semblent étranges, sinon menaçantes pour notre identité et, surtout, ils ont tendance à croire notre culture plus affinée que celle des autres peuples. D’autre part, ces "étrangers" venus comme travailleurs, ont souvent été utilisés comme force de travail pour assurer les tâches pénibles de notre propre développement.

Rappelons la construction des barrages en montagne pour l’électricité et la croissance des industries textiles, les grands ensembles, les métros pour nos villes, dans les années soixante. Le pape Benoît XVI nous conseille "de les remercier, eux et leurs descendants, de cette richesse économique, culturelle et sociale à laquelle ils ont participé". Et il ajoute : "Le défi consiste aujourd’hui à vivre les valeurs d’égalité et de fraternité, qui font partie des valeurs mises en exergue par la devise de la France, prenant soin de faire en sorte que tous les citoyens puissent réaliser, dans le respect des différences légitimes, une véritable culture commune, porteuse des valeurs morales et spirituelles fondamentales".

"Réaliser une véritable culture commune". Tel est bien l’enjeu de la situation nouvelle que nous ressentons désormais. Ces hommes et ces femmes – venus avec leurs traditions, leurs valeurs, leurs convictions morales et leurs références religieuses – ont droit à notre respect fraternel, certes, mais aussi à la prise en compte de leur "histoire sacrée" aux yeux de Dieu. Comme il en va pour tout être humain créé et voulu par le Père de tous. Nous ne pouvons réduire nos frères migrants, leurs enfants et petits enfants à un statut de second ordre par rapport au travail, à la citoyenneté, à la promotion sociale. Ces frères en humanité ne peuvent être réduits à un moyen de production, rentable dans la concurrence mondiale de notre économie. Nous ne pouvons les instrumentaliser pour notre seul bénéfice comme ce fut souvent le cas… et le Pape insiste dans son message pour cette journée mondiale de la migration, sur le sort difficile des femmes sans protection sociale et familiale, victimes d’un trafic qui les rend esclaves, leur réservant les bas salaires, les tâches secondaires et même les abandonnant à l’exploitation par la prostitution.

Mais il y a plus : il s’agit d’accueillir des hommes et des femmes migrants qui apporteront leurs contributions originales à ce que le Pape nomme "une véritable culture commune". Plusieurs d’entre eux font chaque jour leurs preuves dans les compétitions sportives et culturelles, nos services hospitaliers, dans la recherche scientifique et l’enseignement ; ils sont des acteurs de notre vie sociale et intellectuelle. Ils prennent des responsabilités dans l’animation des cités, la vie municipale. Tout comme les chercheurs arabes ont apporté à l’Occident durant le Moyen-Àge l’algèbre et la philosophie grecque, nous sommes mis en demeure de penser le développement de l’Europe en intégrant ces richesses humaines venues d’ailleurs. Et, pour nous chrétiens, de recevoir des chemins de prière, des références éthiques issus de ces diverses traditions religieuses de l’humanité. N’est-ce pas ainsi que Charles de Foucauld a retrouvé le chemin vers Dieu ? Croyants en Celui qui nous invite à la même table de famille, nous découvrons par le dialogue fraternel combien les mots et les images de la prière des migrants nous ouvrent à l’universalité de l’Église. D’Asie, d’Afrique, d’Amérique du Sud, nous recevons des appels pour que notre langage de la foi soit nourri de ces cultures. La catholicité s’est trop longtemps identifiée à des expressions latines et occidentales, aujourd’hui les migrants nous offrent l’occasion de prier et de croire dans une filiation universelle des enfants de Dieu. Une prière aux multiples couleurs de l’Évangile destiné par le Christ à tous les peuples. C’est le sens concret de cette célébration ; elle exprime ce que les différentes communautés vivent dans les quartiers, les paroisses et les écoles, au quotidien. Ne nous faisons pas illusion pour autant, car il s’agit bien, comme le souligne le Saint-Père, d’un défi à relever. La conversion des mentalités et des projets sociaux ou culturels de nos sociétés est lente. Nous constatons combien est forte la tendance à nourrir des préventions et des méfiances. Ces temps-ci, le refus de l’autre et la peur de l’étranger sont agités comme autant de menaces pour la sécurité de nos vieux terroirs. Ce qui est tourner le dos à la réalité alors que, dès les classes maternelles, les enfants rencontrent des traditions ethniques, culturelles et religieuses multiples. Nos jeunes naissent et grandissent dans un climat de pluralisme des convictions et des croyances religieuses. Nous n’en avons pas vraiment pris la mesure. La question n’est plus de savoir comment protéger nos acquis, mais comment construire des solidarités à la hauteur de notre siècle incroyablement mondialisé. Notre Nord a depuis longtemps fait l’expérience de ces conflits de culture ou d’intérêts. Ce fut l’occasion de terribles affrontements dans notre région au cours des siècles. Convenons-en maintenant, les guerres oubliées, notre terroir s’est enrichi de dialogues des idées, d’échanges de savoirs différents ; notre architecture régionale elle-même en porte de très belles traces dans ses rues et ses églises.

Le christianisme, lui aussi, est né de migrations apostoliques ; il a tissé des liens avec la diversité des peuples durant vingt siècles. Le chrétien d’aujourd’hui sait, par expérience, que les migrants sont la route de l’Église. "Toute personne est une image sacrée", chantons-nous. La Bonne Nouvelle de Jésus relie le sacré de l’homme à l’amour dont Dieu est la source. Une source universelle parce qu’éternelle. Car en Jésus, c’est à chacun de nous, à chaque migrant, à chaque pèlerin de la vérité, qu’il est dit : "C’est toi, mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour". Telle est l’ampleur historique et fraternelle de notre baptême. Amen.

Références bibliques :

Référence des chants :

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