« Pain rompu pour un monde nouveau »

C’est un Évangile de saison, si j’ose dire, que nous venons d’entendre, puisqu’il nous invite à prendre du repos, à suivre Jésus à l’écart pour retrouver un peu de silence. Mais aucun silence ne pourra jamais se soustraire à la rumeur des foules qui aujourd’hui encore crient famine ou que la guerre a privées de toit.

Devant les conséquences tragiques de la crise alimentaire qui affecte les pays les plus pauvres de la planète, devant les visages perdus des réfugiés et des exilés, il faudrait avoir un cœur de pierre pour n’être pas, à la manière de Jésus, saisi de pitié par la détresse de tant d’êtres humains qui font les frais des grands déséquilibres économiques, politiques et écologiques de la planète. Mais nous ne le savons que trop : face à l’ampleur des catastrophes humanitaires, le sentiment de compassion qui nous gagne se double immédiatement d’un énorme sentiment d’impuissance. Ne nous resterait-il donc que la solution « réaliste » que préconisent les disciples : « Qu’ils se débrouillent ! Nous ne pouvons rien pour eux » ?

Mais il y a la réponse de Jésus qui, elle, ne transige pas avec l’urgence de la situation, et mieux encore, excède toute attente. Non seulement tout le monde mangera à satiété, mais il restera douze paniers pleins de pains, de quoi nourrir les douze tribus d’Israël, autant dire l’humanité entière. Le désert refleurira, la terre de la soif se changera en terre d’abondance.

Vous vous en doutez bien, ce célèbre récit de la multiplication des pains n’a pas pour but de nous faire rêver d’un impossible pique-nique humanitaire qui règlerait à tout jamais les crises alimentaires de la planète et mettrait fin au drame de la misère. C’est d’un signe qu’il s’agit, chargé des promesses d’une vie plus forte que la mort, d’une humanité rassasiée du pain de la fraternité, d’un monde nouveau régi par la seule gratuité de l’amour.

Les chrétiens qui ont l’habitude de se rassembler autour de la table eucharistique le comprennent bien : le signe de la multiplication des pains fait signe vers un autre signe, définitif celui-là, celui par lequel Jésus lui-même se donne comme un pain à rompre, comme une nourriture de vie éternelle, comme un ferment de résurrection pour le salut de toute l’humanité.

Mais le récit évangélique nous fait surtout comprendre que nous ne saurions croire et proclamer cette belle espérance de justice et de paix, de grâce et de plénitude si nous n’en posions nous-mêmes les signes, si nous ne l’attestions par des gestes de fraternité et des actions de solidarité, par un souci constant du monde, par une attention aux autres, par une disponibilité aux événements qui nous sollicitent. « Donnez-leur vous-mêmes à manger », dit Jésus. Il en appelle à la générosité des siens. Il leur demande de se couper en quatre si je puis dire pour que les cinq pains et les deux malheureux poissons dont ils disposent puissent nourrir cinq mille hommes. En somme, il ne fait que multiplier leur pauvre don.

Si nous ne voulons pas nous laisser décourager par l’immensité des besoins et l’insoutenable cri de l’humanité en souffrance, si nous ne voulons pas faire mentir la promesse de Dieu, il nous fait consentir à cette disproportion des moyens, il nous fait croire à la force des petits gestes et des humbles signes de la bonté humaine.

Et je le dis en pensant aux malades et aux personnes âgées qui participent à cette messe devant leur petit écran, il nous faut croire tout autant à la prière qui permet d’inscrire nos œuvres d’amour les plus humbles dans la volonté de notre Père du ciel de ne perdre aucun de ses enfants. Avant de partager le pain aux enfants de la terre, Jésus n’a-t-il pas levé les yeux vers le ciel et prononcé la bénédiction ? Ce qu’il refera lors de son dernier repas, au moment d’être livré et ce qu’avec lui nous allons refaire dans cette eucharistie.

Ici aux Grandes-Ventes, c’est aujourd’hui fête de la moisson. Si la moisson est une fête, c’est parce qu’elle couronne symboliquement le patient labeur de l’humanité. Plus encore, c’est parce qu’elle est promesse du pain partagé, espérance d’une humanité rassemblée autour de la même table.

Ainsi, à la table où le Christ nous convie aujourd’hui, c’est bien le fruit de la terre et du travail des hommes que nous apportons, mais pour le recevoir comme le pain qu’il a lui-même rompu pour la multitude. Ce pain qu’il continue de nous offrir en prémices du monde nouveau que nos seules générosités ne suffiront pas à bâtir.

Références bibliques : Is 55, 1-3 ; Ps 144 ; Rm 8, 35.37-39 ; Mt 14, 13-21

Référence des chants :

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