« Au nom du Christ, nous vous le demandons : laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » vient de nous supplier l’Apôtre Paul à travers sa Seconde Lettre aux chrétiens de Corinthe. Mais Paul n’a rien inventé. Il redit seulement ce que Jésus de Nazareth n’a cessé de clamer jusqu’au sommet de sa croix : « Revenez à Dieu de tout votre cœur ! Croyez en son amour ! ». L’amour du Père céleste pour nous, Jésus en a surtout témoigné par sa vie toute donnée au nom du Père. Mais il nous l’a fait connaître, aussi, par le témoignage de sa Parole. Ainsi cette parabole habituellement désignée comme « La parabole du fils prodigue » (c’est-à-dire du fils dépensier ou « gaspilleur ») que nous venons d’entendre, la parabole d’un père et de ses deux fils.

Nulle part dans l’Évangile, Jésus ne nous fait autant pénétrer dans le Mystère de Dieu et de son pardon. Nulle part, il ne nous a autant dévoilé le vrai visage du Père. Cette parabole est vraiment la perle des paraboles, le plus beau portrait de Dieu que le Christ pouvait nous révéler. Et on ne peut que s’étonner que Luc seul nous ait donné ce trésor, comme si les autres évangélistes avaient trouvé la parabole trop audacieuse, trop « révolutionnaire » par rapport aux images de Dieu qui avaient été jusque-là véhiculées.

L’histoire est facile à comprendre et à retenir ; le récit reste très sobre. Un fils cadet a décidé de quitter son père. Il a besoin de liberté. Il ne se satisfait plus de l’amour de ses parents. Il ose même une revendication scandaleuse : recevoir sa part d’héritage, quand bien même son père est encore vivant. Une façon, plus ou moins consciente, de tuer ce dernier ! Et le père va accéder à sa demande. Un père qui consent – la mort dans l’âme, sans aucun doute – à ce que son deuxième fils fasse l’expérience vertigineuse de la liberté. Un père qui accepte, finalement, d’être nié dans sa paternité. Car en partant comme il le fait, le fils délaisse sa qualité de fils. Il ne veut plus du lien qui le liait à son père. Il choisit un statut nouveau : celui d’étranger à la Maison de son père. Il avait la tendresse : il lui préfère les biens matériels. Il avait déjà tout : il croit qu’il peut parvenir à une autosuffisance bien meilleure. Ce qui va le conduire à la catastrophe. De fils bien aimé du Maître, il va passer à l’état de serviteur, et même se retrouver dans une situation pire que celle des porcs, ces animaux impurs mais qui ont cependant droit à être nourris !

Le fils cadet a voulu cesser d’être un fils. Mais a-t-il perdu pour autant cette qualité de fils ? Pour que le fils ne soit plus fils, encore faut-il que le père ne veuille plus être père ! Or le père n’a pas renoncé à son amour pour son garçon. Il sait les semences d’amour qu’il a déposées depuis si longtemps dans le cœur de celui-ci. Il a foi dans la capacité de son fils à se ressaisir. Malgré l’offense, malgré l’abandon dont il est la victime, le père a choisi de continuer à aimer. Il l’aime son fils ! Alors comment pourrait-il cesser de croire en lui ? Aimer c’est croire dans l’autre. Aimer c’est avoir confiance. Aimer c’est espérer.

Ayant touché le fond de la misère et de la détresse, le fils indigne finit par repenser à son père. A-t-il vraiment du remords ? Est-il réellement conscient du mal qu’il a fait à son père ? On peut l’espérer. Mais le plus important, c’est qu’il repense à son père comme à un père. « Je vais retourner chez mon père » se dit-il en lui-même. « Père ! » : il a retrouvé le mot que seuls les fils peuvent dire. « Je ne mérite plus d’être appelé ton fils » dira-t-il un peu plus tard en retrouvant les bras de son géniteur, mais néanmoins il se sait fils. Fils indigne, mais fils quand même !

Toute la vérité du christianisme est là, bien chers amis. Comme l’a écrit saint Jean dans sa Première Lettre : « Nous sommes appelés enfants de Dieu, et nous le sommes » (1Jn 3, 1). « Enfants de Dieu » ! Non pas « esclaves de Dieu » ! Pas même « serviteurs de Dieu » ! « Enfants » : ceux et celles qui sont enfantés par Dieu. Ceux et celles que Dieu aime comme étant de ses entrailles. Ceux et celles qui ont un lien de dépendance avec Dieu, car être enfants suppose une certaine dépendance à l’égard de ses géniteurs. Mais cette dépendance n’est pas une servitude. C’est une relation qui fait vivre.

Le fils cadet a cru pouvoir trouver une liberté plus grande en rompant les liens avec son père. Il n’a trouvé que l’esclavage. Mais son père, lui, n’a pas changé dans son amour. Il est resté totalement père. Et c’est ce qui va permettre au fils indigne d’être restauré dans sa dignité de fils. C’est ce qui va permettre à ce dernier de retrouver la vie en plénitude.

Je ne vous parlerai pas de l’autre fils, le fils aîné, celui qui est resté à la maison mais qui n’a pas mieux compris que son cadet combien immense était l’amour du père. La figure du fils cadet mérite à elle seule d’être observée. Car ce fils qui veut se libérer des liens du père, c’est chacun de nous, bien entendu ! Ce fils qui ne sait pas combien grande est sa chance de pouvoir vivre en compagnie de Dieu, c’est moi chaque fois que je pense pouvoir faire ma vie en dehors de l’amour de Dieu. Dépensier jusqu’au gaspillage des dons que Dieu m’a confiés, oui je le suis ! Ingrat à l’égard du Seigneur, bien entendu je le suis ! Or lui m’attend sans cesse, ses grands bras ouverts pour me dire : « Mon fils qui étais mort, te voilà revenu à la vie ! ». Oui, le pardon nous est donné sans limite. Oui, la vie éternelle nous est offerte en plénitude. Mais il faut que nous venions les chercher. Il faut que nous voulions être reconnus comme fils et filles.

Il y a cent cinquante ans, le père Antoine Chevrier, contemplant la crèche qui avait été installée la nuit de Noël 1856, dans l’église Saint-André-de-la-Guillotière, fut bouleversé en réalisant toute la dépossession que représentait pour le Christ le fait de venir partager notre humanité. « Je me disais, expliquera-t-il, le Fils de Dieu est descendu sur la terre pour sauver les hommes et convertir les pécheurs. Et cependant que voyons-nous ? […] Les hommes continuent à se damner ! » Il n’aura, dès lors, plus de cesse de vouloir ramener au Père les fils perdus. Oui, Père, je suis ton enfant ! Accorde-moi ton pardon ! Fais-moi vivre de ta miséricorde !

Références bibliques : Jos 5, 10-12 ; Ps 33 ; 2Co 5, 17-21 ; Lc 15, 1-32

Référence des chants :

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