« Heureux les invités au repas du Seigneur »
Il y a de quoi faire frémir dans cette parabole qui s’achève sur des pleurs et des grincements de dents, après nous avoir raconté l’expédition punitive que lance un roi pour régler leur compte à ceux qui ont décliné son invitation au mariage de son fils.

 

Et pourtant – vous l’avouerais-je ? – j’ai une certaine compréhension pour ces invités qui invoquent toutes sortes de prétextes pour se dérober au festin de ces noces royales. Il n’y a rien de pire en effet que la fête obligatoire, ces banquets interminables où l’on s’ennuie, ces cocktails où il faut faire semblant d’être ravis, ces mariages où l’on n’échappe pas à « la danse des canards ». Plaisanterie mise à part, ce que je veux dire, c’est que pour répondre à l’appel de la fête, il faut avoir le cœur accordé à la fête, et avoir des raisons profondes de se réjouir.

 

Les communautés judéo-chrétiennes pour lesquelles Matthieu a composé son Évangile ont vu dans l’attitude de ces invités récalcitrants – dont certains iront jusqu’à se transformer en meurtriers – une allusion très claire aux chefs-religieux d’Israël qui précisément n’ont pas voulu reconnaître en Jésus l’envoyé du Père. Ils ont refusé d’entrer dans la fête d’une alliance nouvelle, tandis que des étrangers, issus du paganisme ont répondu joyeusement à l’appel.

 

C’est là le sens de la parabole dans son contexte initial. Mais pour nous qui venons aujourd’hui, elle a à l’évidence une portée symbolique : elle interroge la manière dont nous accueillons la proposition de la foi ; elle met en lumière la part de résistance et parfois de refus que nous lui opposons.

 

Qui d’entre nous ne se reconnaîtrait dans ces invités tout entier absorbés par leurs tâches immédiates, leurs petites affaires et leurs prétendues urgences, hantés par la fameuse obligation de performance et de rentabilité ?

 

Au regard du projet de Dieu qui veut faire salle comble au banquet de son Royaume, qui veut rassembler l’humanité pour la laver de toute humiliation et en faire son épouse bien-aimée pour l’éternité, il faut bien le dire, notre conception de la réussite s’avère bien étriquée. Et parfois notre christianisme semble s’être ratatiné en une petite morale individuelle, sans horizon, sans ambition, qui justifie bien de nos désistements.

 

Selon une comparaison que j’emprunte à Jésus lui-même, Dieu pourrait bien nous dire comme l’enfant sur la place publique : « J’ai joué de la flûte et vous n’avez pas voulu danser ».

 

Si nous voulions bien reconnaître que nous avons souvent la foi paresseuse et indifférente, nous serions sans doute plus à même de comprendre dans cette parabole ce qui scandalise nos âmes sensibles et nos oreilles modernes, je veux parler de la colère de Dieu.

 

Certes, Jésus ne ménage pas ses effets en racontant que le roi envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et brûla leur ville. Et cependant, on ne saurait interpréter cette colère comme l’expression d’une toute-puissance vengeresse de Dieu. Ne serait-elle pas plutôt l’expression pathétique de la faiblesse d’un Dieu qui s’en remet à notre liberté d’accepter ou de refuser sa proposition d’alliance ?

 

Oui, Dieu en appelle à notre responsabilité pour que nous sachions nous rendre dignes de l’alliance qu’en Jésus il a conclue avec nous. Vous l’avez entendu, si le maître de la parabole en vient à ouvrir les portes à tous, « les mauvais comme les bons », ceux qu’on rencontre à la croisée des chemins, ceux qui ont toujours bénéficié de la prédilection de Jésus, les humbles, les exclus, les malades, les pécheurs publics, les étrangers, il réclame cependant de tous qu’ils portent le vêtement de noces.

 

Revêtir l’habit des noces, dans l’imagerie biblique, c’est accepter avec joie et reconnaissance d’être un invité à qui rien n’est dû, à qui tout est donné. C’est honorer le projet de Dieu en y participant activement par une vie juste et généreuse, c’est anticiper en quelque sorte, dans les soucis, les épreuves et les déchirements, la fête sans fin que le Ressuscité a inaugurée.

 

Il ne s’agit pas bien sûr de transformer nos églises en groupes folkloriques cultivant la bonne humeur ou en rassemblements hystériques. Il ne s’agit pas non plus de nous draper du manteau de l’innocence ou de nos prétendues vertus, mais comme le dit Saint Paul, de nous revêtir des sentiments qui furent ceux de Jésus.

 

Et ce vêtement-là, vous le savez bien, les chrétiens n’en ont pas l’exclusivité. Réjouissons-nous de pouvoir croire en un Dieu qui a quitté le cercle de ses courtisans pour se mêler à l’histoire de tous les hommes et se tenir à la croisée de tous nos chemins d’humanité. C’est là qu’il nous donne rendez-vous pour que, par nous, son invitation parvienne à tous, à commencer par ceux que la société voudrait exclure de la fête collective.

 

Réjouissons-nous de pouvoir goûter à la table eucharistique qui nous rassemble bien plus que les viandes succulentes et les vins capiteux dont parlait avec gourmandise le prophète Isaïe. C’est Dieu lui-même qui s’offre en nourriture pour nous donner part dès aujourd’hui à la vie du Christ ressuscité.

Références bibliques : Is 25, 6-9 ; Ps 22 ; Ph 4, 12-14.19-20 ; Mt 22, 1-14

Référence des chants :

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