Messe célébrée à l’occasion du centenaire de la découverte du gisement de potasse en Alsace.

Jusqu’à la présente génération, tout le monde, en France du moins, a connu le panneau ovale en émail bleu qui présentait, posée sur son unique patte rouge, la blanche cigogne et son grand bec, avec la suggestive inscription : « Potasse d’Alsace ».

C’est le 11 juin 1904 qu’a été entrepris à Wittelsheim le premier forage sur le gisement de potasse de l’Alsace, et voici que cent ans plus tard exactement, en cette année 2004, on a cessé ici toute exploitation minière, la fin de l’extraction proprement dite ayant eu lieu en 2002, au moment de l’incendie de Stocamine. Il est bien qu’une messe soit célébrée en ces circonstances et en ces lieux ! Elle est retransmise par la télévision nationale depuis l’église Sainte-Barbe de Wittenheim construite au cœur du bassin potassique dès 1928, décorée par le grand peintre Georges Desvalières et classée monument historique depuis 1993. Cette messe nous permet, Frères et Sœurs :
– d’abord de faire mémoire d’une fantastique aventure humaine maintenant passée ;
– ensuite de porter aujourd’hui dans la prière tout ce que cette aventure a fait vivre pendant tout un siècle à des dizaines de milliers d’hommes et de femmes ;
– enfin de puiser dans notre foi les raisons et les énergies d’une espérance vive pour l’avenir.

Une fantastique aventure maintenant passée
Depuis qu’Amélie Zürcher a donné le coup d’envoi ici même, plus de 560 millions de tonnes de sylvinite, le typique minerai de couleur ocre orangée, ont été extraites des onze mines et vingt-quatre puits effectivement exploités entre Ensisheim au Nord et Mulhouse au Sud, Wittelsheim à l’Est et Cernay à l’Ouest. Durant un siècle, cette exploitation minière a donné du travail à des dizaines de milliers de personnes, le sommet étant atteint en 1948 avec un effectif total de 13 880 salariés. Et toute la production a permis non seulement la fertilisation des sols agricoles bien au-delà des Vosges et du Rhin, mais également l’élaboration de nombreux produits chimiques allant des détergents aux médicaments.

À travers tout cela, les mineurs se sont qualifiés, ont su développer leurs savoir-faire et adapter leurs méthodes de travail. Ils ont certes par-là amélioré de plus en plus leurs propres conditions de vie, mais ils ont aussi donné vitalité et prospérité à toute une région. Des cités minières ont été construites et les villages sont devenus des villes. Une vie associative s’est développée ; des écoles, des églises, des colonies de vacances, des centres sportifs ont été construits ; une animation culturelle intense, une activité sportive diversifiée, une riche vie de loisirs, ont apporté l’épanouissement aux personnes et aux familles. Comme me le disait un mineur lors de ma récente Visite pastorale en ces lieux, « Oui, il faisait bon vivre dans le bassin potassique! » Comment ne ferait-on pas mémoire aujourd’hui d’une telle richesse ?

Célébrer aujourd’hui dans la prière
Cette grande aventure humaine a, cependant, maintenant pris fin sous la forme du moins où elle a été vécue pendant tout juste un siècle. Les nombreuses commémorations de ces derniers mois, et tout particulièrement la messe de ce jour, nous invitent opportunément à la porter dans la prière ?

Notre premier mouvement sera maintenant de rendre grâce au Seigneur pour les générations de travailleurs de la mine qui se sont succédées ici depuis les pionniers de 1904 : ouvriers, techniciens, ingénieurs, dirigeants, qui ont œuvré ici pour, au prix d’un dur labeur, arracher aux profondeurs de la terre le sel de la potasse, qui a fécondé tant de sols en France et dans le monde. Nous pensons particulièrement à tous les travailleurs venus d’autres pays – la Pologne avant tout, mais aussi l’Italie et qui ont su si profondément s’intégrer à la grande famille des mineurs en entretenant fidèlement la flamme de leur origine, de leur foi et de leur culture. Nous tenons à évoquer tous ceux qui se sont impliqués, tant par le syndicalisme que par l’exercice des lourdes responsabilités de direction, pour combattre les mauvaises conditions de travail à la mine et pour y faire progresser l’hygiène et la sécurité ; aussi tous ceux qui, comme responsables d’associations, ont tant fait dans les cités minières pour se mettre de cent manières au service de la communauté, en particulier pour s’occuper des jeunes, de leur formation et de leurs loisirs.

En même temps que d’action de grâces et de reconnaissance, notre prière sera de supplication et d’intercession. D’une part nous prierons pour les plus de 700 mineurs qui, ayant été victimes d’accidents, ont laissé leur vie sur leur lieu de travail ; pour tous ceux qui, épuisés par le travail, ont été minés par la maladie, laissant derrière eux veuve et orphelins désemparés ; pour toutes les victimes des deux grandes guerres qui ont marqué ici ces cent années. Mais nous porterons aussi d’autre part dans notre intercession la grande famille de ceux qui sont aujourd’hui retraité : nous demanderons au Seigneur qu’ils puissent longtemps se réjouir en paix du travail de leurs mains, et qu’ils puissent aussi garder vivantes la solidarité et la générosité forgées et pratiquées au fond de la mine et sur les chantiers.

Des espérances pour l’avenir
Reste, alors, à nous tourner maintenant vers l’avenir.

La première chose sera ici, me semble-t-il, de tirer une grande leçon de sagesse : sur une plus ou moins longue durée, toutes les réalités humaines connaissent et les espoirs du lancement dans l’humilité des commencements, et les épanouissements de la réussite qui ne vont jamais sans obstacles et échecs, sans à-coups et relances… et toutes, elles finissent par le déclin puis la disparition. Cette loi générale du devenir des choses humaines vaut aussi bien pour les existences individuelles que pour les entreprises, pour les régimes politiques que pour les civilisations elles-mêmes puisqu’un Paul Valéry nous invitait à bien prendre conscience que ces dernières aussi sont bel et bien « mortelles ». Pour les individus et pour les sociétés, il y a là, oui, une grande leçon : aucune réalisation humaine n’a les paroles de la vie éternelle. La parabole du pharisien et du publicain que nous venons d’entendre peut nous apporter ici un enseignement salutaire. Deuxième leçon importante : il y a toujours, dans la vie, à se situer par rapport à ce qu’on a reçu. Pour le garder et en faire mémoire « en son cœur » comme il nous est dit à propos de la Vierge Marie ; pour se nourrir de tout ce qui a été réalisé, partagé, réussi et dont on pourra entretenir légitimement la fierté ; pour s’instruire de ce qui a été manqué, pour gérer au mieux les dérapages et les séquelles ; pour ne pas démériter de ce qui nous a été légué. On ne peut que se féliciter qu’ici, on se soit depuis de longues années préoccupées de « l’après-mine », qu’il s’agisse des hommes et de leurs emplois ou des sites et de leurs installations.

La dernière leçon sera d’espérance. Forts des expériences d’hier, instruits et des réussites et des manques du passé, nous avons bien conscience qu’un nouveau siècle a commencé. De nouvelles aventures humaines nous attendent, de nouveaux défis se présentent, de nouveaux combats sont devant nous. Nous souhaitons de tout cœur que les leçons de ce siècle qui s’achève et l’héritage des aînés qui l’ont fait, mettent au cœur des hommes et des femmes d’aujourd’hui –particulièrement des jeunes– la volonté, la résolution et même l’enthousiasme de ceux qui, au nom de leur foi et de leur espérance, en ces lieux et jusque dans les profondeurs de la terre, ont victorieusement mené le combat pour un monde non seulement plus prospère et plus riche à tous égards, mais plus juste, plus humain et plus fraternel pour tous.

Amen.

Références bibliques :

Référence des chants :

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