« Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie, je ne vaux pas mieux que mes pères. » Comment Élie, cet homme aussi passionné par sa mission de prophète, a-t-il pu en arriver à lancer vers le ciel un tel cri de désolation ? Avant de s’effondrer et d’être cloué au sol, Élie n’était-il pas fort de la force même de Dieu, lorsqu’il fit descendre le feu devant les quatre cent cinquante prophètes d’une divinité païenne ? Comme ses pères, Abraham ou Moïse, Élie est avant tout le témoin d’un Dieu transcendant, quasi terrifiant, qui se manifeste dans la puissance du feu.

Mais c’est à travers l’histoire de cet homme que va s’opérer une étonnante rupture dans l’histoire de Dieu : de témoin éclairé, Élie va devenir aveugle, aveuglé par sa peur. Et c’est là que l’inouï advient, car cet effondrement humain va aller jusqu’à bouleverser Dieu lui-même, en renversant dans nos têtes cette image du tout-puissant qui domine. Dieu va venir lui-même épouser ce mouvement de descente de l’homme jusque dans ses enfers terrestres. Déjà avec Élie, « nous changeons de Dieu » (Zundel). Le Seigneur n’a pas attendu le « oui » de Marie pour commencer à révéler aux hommes avec quelle proximité et quelle intimité il pouvait les rejoindre dans leurs détresses.

Regardons avec quelle sollicitude humaine le Très-Haut se met en quatre pour relever son prophète qui n’en peut plus. Un ange s’approche, le touche et le nourrit, puis revient, insiste, comme une mère inquiète au chevet de son enfant malade : « Lève-toi et mange ! Autrement le chemin serait trop long pour toi. » Alors Élie se leva, mangea et bu. Fortifié par cette nourriture divine, il est saisi dans tout son corps par un élan de vie qui ne lui permet plus de s’arrêter de marcher jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu. Et c’est là que va culminer cette révélation du Dieu proche : sur la montagne, ce n’est plus dans le feu qu’Élie rencontre Dieu mais dans le murmure d’une brise légère, dans l’humble présence d’un fin silence qui parle à son cœur.

On peut s’interroger : Ne fallait-il pas qu’Élie renonce à sa vie pour faire la rencontre intime de Dieu ? Nous ne sommes pas prophètes, mais il me semble que cela peut rejoindre nos expériences. Car n’est-ce pas dans ces moments où nous avons accepté de nous regarder tels que nous sommes, sans nous scandaliser de nos échecs et de nos fragilités que nous avons pu découvrir combien Dieu pouvait se faire proche ? Pour nous l’ange, ce fut peut-être une simple rencontre humaine, brève mais lumineuse qui nous a relevés ; une petite tape d’un ami sur l’épaule qui disait : « Allons, n’en reste pas là, tu as plus en toi », un regard qui nous espère, une lettre pleine d’affection, ou encore un instant de prière au cours duquel nous avons ressenti une Présence que nous ne pouvons oublier…

Dieu tellement humain… Comment pouvait-il ne pas désirer prendre corps pour se lier définitivement avec toute l’humanité blessée ? Et c’est tout l’Évangile. Par sa parole et par sa vie, Jésus sera le témoin le plus authentique et même le plus scandalisant de cette bouleversante proximité de Dieu, lui qui osera dire : « Je suis le pain vivant, descendu du ciel (…) Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »

Qui peut comprendre ? Nous aurons beau accepter une telle intimité, nous n’aurons jamais fini de comprendre que ce Jésus dont la vie fut à la fois si grande, si passionnée et si courte veuille à ce point se mêler à notre histoire pour faire de chacune de nos vies, dès aujourd’hui, un prolongement de la sienne.

Ô Seigneur, ne reprends pas ma vie, ton Pain me donne tellement envie de vivre !

Références bibliques : 1 R 19, 4-8 ; Ps. 33 ; Ep 4, 30-5, 2 ; Jn 6, 41-51

Référence des chants :

 

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