Il est émouvant, ce publicain. Je l’aime bien : je lui ressemble. Car je n’ai jamais trouvé que j’étais digne de prier. Quand j’étais plus jeune, quand j’avais vingt ans, je n’osais pas prier. Je me sentais si médiocre. À l’intérieur, je veux dire ; car à l’extérieur, j’étais très orgueilleux. Beaucoup de garçons de vingt ans sont comme cela. Mais notre publicain, lui, murmure sa prière. Et cette prière, qui est une prière de pauvre, monte au Seigneur en traversant les nuées, comme dit Isaïe, en crevant la brume de l’habitude, de la crainte, du péché, de la solitude. C’est une prière irrégulière, une prière sauvage et c’est la prière que Dieu préfère.

L’Évangile est rempli de ces suppliants irréguliers. Les petits enfants, les fils ingrats, les pécheresses, les étrangers, les soldats, les publicains, tous ceux qui s’accrochent à Jésus comme le naufragé à une planche. Et toujours, Jésus les accueille. Même quand les disciples leur font barrage.

Et parce que je n’ai plus vingt ans, j’ai appris qu’en vérité, toute prière est une prière de pauvre comme celle du publicain. Et que l’Église est l’assemblée immense de tous ces priants secrets. Que dans la rue, dans le métro, au travail, depuis un lit d’hôpital, devant la télévision comme vous, frères et sœurs, qui regardez la messe télévisée – non, qui participez à la messe, parce que vous priez devant votre poste -, qu’en prison, comme les prisonnières de la prison centrale de Rennes à qui nous nous associons aujourd’hui, partout des prières jaillissent. Des prières malhabiles, des louanges insuffisantes, des demandes que nous ne méritons pas de formuler, ces prières-là, ces pauvres prières intimes, ces prières de pauvres, sont celles que Dieu préfère.

Être chrétien, frères et sœurs, ce n’est pas d’abord faire ceci ou cela. D’abord, un certain nombre d’entre nous ne peuvent rien faire. Trop vieux, ou trop fatigué, ou privé de liberté, ou empêtré dans notre vie et ses contradictions. Être chrétien, ce n’est pas d’abord dire ceci ou cela. D’abord, un certain nombre d’entre nous ne peuvent rien dire. Leur parole est trop embarrassée, comme celle de mes scouts quand ils doivent faire un témoignage de foi pour la fin de la veillée. Être chrétien, c’est ne même pas arriver à lever les yeux au ciel et cependant, laisser jaillir de son cœur la joie et le regret, la crainte de ne jamais arriver à être saint et l’espoir de le devenir quand même. C’est toucher une statue, faute de mieux, allumer une bougie, pousser un soupir, murmurer un « Je vous salue Marie » ; c’est déverser le fardeau en vrac parce qu’il est devenu trop lourd, c’est tout confier sans ordre, sans méthode, sans précaution.

C’est dire à Dieu : « Je suis là. Prends-moi dans ta miséricorde. J’ai quinze ans, vingt ans, quarante ans, soixante, plus. Je ne sais pas très bien où j’en suis, ou bien je le sais trop. Mais prends-moi dans ta miséricorde. Je ne suis pas digne de toi, Seigneur, mais sans toi, je ne peux pas avancer. »

Car cette prière-là, cette prière nue, cette prière fondamentale, la plus pauvre qui soit, déchire les nuées et saisit le cœur de Dieu. N’ayez pas peur de votre prière. Laissez-la jaillir librement. Un père n’attend qu’une chose de ses enfants, si loin qu’ils soient de lui : qu’ils l’appellent. Alors, de son cœur touché comme par une lance, jaillit sa force et son amour, et sa joie.

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