C’est tout de même étrange ! Un prophète mal reçu chez lui ! C’est dû à quoi ? Comment expliquer que la parole adressée à des gens tout proches puisse être si mal reçue ? Jésus en fait l’expérience aujourd’hui, mais au fond, nous aussi, lorsque nous parlons de notre foi avec nos contemporains.
Il est certain que le prophète, et au fond nous sommes tous prophètes par notre baptême, n’a pas toujours des choses agréables à dire. Il serait sans doute plus aisé de faire de la démagogie, de dire aux gens ce qu’ils veulent entendre ; mais voilà, ce n’est pas à nous de décider le contenu du message : ce qui caractérise justement la mission prophétique, c’est que la parole vient de Dieu lui-même. Et cette parole nous sort des sentiers battus. C’est la raison pour laquelle, nous ne le savons que trop bien, le message divin est difficile à accueillir, et donc difficile à annoncer. La tourmente du Pape cet hiver ne l’a que trop montré. L’Évangile est, par nature, exigent, voire pénible à divulguer. S’il en avait été autrement, saint Nonna aurait-il eu besoin de venir d’Irlande pour aider les premiers prêtres et évêques à déraciner le paganisme encore vivace, ici, en Armorique ? Et nous-mêmes aujourd’hui, aurions-nous tant de mal à porter un message vis-à-vis duquel nos contemporains sont au mieux indifférents mais bien souvent réticents ?
Vous voyez bien l’enjeu. Comment, en tant que chrétien, acceptons-nous cette âpreté ? Le fait d’être si peu ou si mal écouté nous décourage-t-il ? Laissons-nous les idées de notre monde empiéter progressivement sur les exigences de l’Évangile ? Ou bien au contraire, acceptons-nous de dire, avec autant d’humilité que d’audace, un message qui porte en lui-même la contradiction ? Prenons acte que la parole dont nous sommes les témoins comporte une dimension irrecevable. Soyons confiants, car qui réfute notre parole, ne nous réfute pas tant nous-mêmes, mais celui qui nous envoie, c’est à dire le Christ.
Or le Christ lui-même n’a pas refusé de proclamer cette parole à temps et à contretemps, même au prix de sa vie. En cela, il se situe dans la lignée du prophète Ézéchiel. Dans la première lecture, nous l’avons entendue à l’instant, Dieu dit : « Qu’ils écoutent ou qu’ils s’y refusent… Ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux » L’enjeu du message n’est pas seulement de dire des choses mais de signaler : « il y a là un prophète ! » Ce prophète, c’est d’abord Jésus qui annonce l’Évangile, quelques soient les réactions de son auditoire. Ce prophète, c’est également chacun de nous, lorsque nous décidons de témoigner du Christ, que notre parole soit accueillie ou qu’elle soit réfutée. Même si notre témoignage suscite la haine, personne ne pourra dire que nous avons fui nos convictions. Notre monde contemporain n’a pas tant besoin d’une parole facile à entendre que de témoins prêts à assumer leurs positions.
Pour autant, prenons-y garde, il y aurait sans doute danger pour nous de nous enfermer dans une position systématiquement contradictoire. Ce qui fait la force de notre message, ce n’est pas sa capacité à s’opposer. Il est des chrétiens qui jouent aux vierges effarouchées en critiquant sans cesse le monde dans lequel ils vivent. Non ! Nous ne sommes pas là pour défendre des bastions mais pour annoncer une Bonne Nouvelle.
Allons plus loin ! Nous voulons bien comprendre que nos contemporains reçoivent mal l’Évangile, mais la phrase de Jésus semble plus radicale encore. « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison. » Jésus sait de quoi il parle : N’est-ce pas sa propre famille qui a voulu l’extraire de son ministère, n’est-ce pas ses propres disciples qui l’ont abandonné ou pire encore renié ou trahi ?
Chacun de nous fait aussi cette expérience paradoxale auprès de ses proches : qui de nous n’a pas de mal à témoigner de ses convictions auprès de ses relations les plus rapprochées ou dans ses lieux de vie les plus ordinaires ? Pourquoi donc tel frère, telle fille, tel parent, ne partage-t-il pas notre foi ? Pourquoi même, trop souvent, des drames sournois se cristallisent-ils au sein de nos familles, à l’occasion de grandes fêtes ou de la célébration de funérailles ? Comment expliquer qu’avec nos proches, il nous soit si difficile de dialoguer des choses de la foi sans que les passions ne prennent le pas sur la raison ? Qui sait si notre procession avant la messe, à l’occasion du Pardon, n’a pas choqué tel ou tel habitant de Penmarc’h que nous croisons pourtant tous les jours. Qu’il est difficile d’être prophète auprès des siens !
Pourquoi cela ? Tout simplement parce que ceux qui nous ressemblent s’attendent à ce qu’on leur ressemble. Qu’il est ardu pour eux d’accepter de la part d’un proche, une parole qui vient d’ailleurs. Les habitants de Nazareth ne s’étonnent-ils pas à propos de Jésus : « D’où cela lui vient-il ? […] N’est-il pas le charpentier ? […] Ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous ? » Comment pourraient-ils reconnaître l’étrangeté de Jésus, eux qui le connaisse de façon si intime ? Par suite, comment sauraient-ils accueillir la nouveauté de son message, eux qui n’attendent que des paroles de la vie ordinaire, ces paroles qui ne dérangent pas ? Cette réalité, Jésus la vivra, non seulement à Nazareth, mais jusqu’à la croix. C’est seulement là que ses proches pourront découvrir que sa parole ne voulait pas tant les surprendre que les aimer.
Voyez-vous, si, sur la croix, Jésus lui-même a mesuré qu’un prophète ne peut être compris par les siens, il ne les a pourtant jamais condamnés. Gageons que nous trouverons auprès de lui l’audace d’annoncer aux nôtres le message, même si cela est couteux et pénible, sans porter sur eux de regard de condamnation. Qu’il nous donne la paix pour en vivre sans crainte au cœur de ce monde.

Références bibliques : Ez 2, 2-5; Ps.122; 2 Co 12, 7-10; Mc 6, 1-6

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