Un chemin d’excès

Frères et sœurs,

Sommes-nous réellement chrétiens à la hauteur des paroles du Nouveau Testament ? Vivons-nous réellement les valeurs humaines d’amour et de justice en excès, comme nous y invite cette page d’évangile ? Vous avez entendu qu’il est dit « “Œil pour œil, dent pour dent”. Eh bien ! moi, je vous dis : “aimez vos ennemis” ». Il s’agit bien de démesure, car si nous n’aimons que par simple réciprocité, en quoi notre action se distingue-t-elle des raisonnements de notre monde contemporain ? Face à la culture de la rentabilité, le christianisme ne nous invite certainement pas à nous réfugier dans un au-delà. Cependant, il n’a de sens que s’il va au-delà de nos valeurs communément partagées. Au-delà du calcul, de l’intérêt, de la proportionnalité.

Dès lors, ne devrions-nous pas envisager davantage la justesse de nos projets à la lumière de cet amour et de cette justice en excès ? Aujourd’hui, notre monde veut que le soleil brille pour les justes seulement et que la pluie tombe sur les méchants. Mais notre Dieu, lui, veut « unir les hommes séparés, pour qu’ils soient un à construire le royaume.» [1] Alors, si nous voulons vivre ces paroles d’encouragement, nous avons à accueillir ce ‘chemin d’excès’, afin d’incarner le plus authentiquement possible les valeurs humaines qui nous animent, et de joindre vraiment le geste à la parole. Pour cela, il nous faut mener concrètement ce combat pour la dignité humaine, face à l’inhumanité de notre monde.

Ici, à Noisy-le-Grand comme dans beaucoup d’autres lieux, par son exemple et son mouvement, le père Joseph Wresinski nous montre que ce chemin d’excès est possible. Au nom de l’Evangile, il s’est mis du côté des pauvres, des humiliés, puisque Dieu a partagé leur sort. Il a voulu « transformer la violence en combat lucide, s’armer d’amour, d’espoir, et de savoir, pour mener (…) la lutte contre l’ignorance, la faim, l’exclusion »[2]. Son message nous rappelle que cette lutte contre la détresse humaine n’est pas une utopie et que l’Eglise doit sans cesse témoigner de cet amour du Christ, en accueillant l’humain quel qu’il soit.

Voir en chaque être —jusqu’au plus précarisé— l’image même de Dieu, voilà qui est bien la folie de l’Evangile ! Elle est cet amour inconditionnel de l’autre, en commençant par l’homme qui subit la brûlure de l’indifférence, parce que économiquement inutile, affectivement insignifiant ou socialement hors du coup.[3]

Dès lors, vivre les valeurs humaines en excès consiste pour nous à offrir des actes de bienveillance qui vont au-delà de l’amour de réciprocité, et des gestes d’attention qui vont au-delà d’une simple justice. Témoigner de cette bonté pour tous est le signe concret de la tendresse de Dieu qui appelle le laissé-pour-compte au même destin que l’homme qui a réussi. Car si, par notre histoire, nous ne sommes pas tous égaux aux yeux du monde, nous sommes cependant tous équivalents devant Dieu, parce que nous avons du prix à ses yeux.

Frères et sœurs,

Sommes-nous réellement des chrétiens qui témoignent de cet amour sans mesure ? A nous d’y répondre, même si nos actes sont parfois peu ajustés à nos paroles… Cette question ne doit en rien nous désespérer, mais au contraire nous encourager à aller toujours plus loin, au-delà même de ce que nous pouvons espérer !

Le monde nous invite à la générosité. L’Evangile, quant à lui, nous appelle à aller au-delà du don, jusqu’à la gratuité du pardon.

Notre culture veut porter l’amour. Jésus nous invite à aller au-delà de l’amour de sentiment, jusqu’à l’amour de respect pour les ennemis.

Notre société nous convie à la fraternité. L’Eglise devra toujours faire un pas de plus dans l’accueil de l’autre, du plus pauvre, du réfugié, du plus méprisé.

Voilà pourquoi, si nous croyons être sage à la manière d’ici-bas (1 Co 3:18), Dieu nous invitera toujours à sa folie, à aller plus loin, à la démesure de son amour inconditionnel envers l’humain. Y a-t-il plus extraordinaire et audacieux chemin de vie que celui-là ? Amen

 

[1] Homélie de Joseph Wresinski, citée dans Th. Monfils, Le Père Joseph Wresinski, Lessius, Namur, 2016, p. 644.

[2] J. Wresinski, Les pauvres sont l’Eglise, Cerf, Paris, 2011, p. 25

[3] Cfr A. Gesché, Le Christ, Cerf, Paris, 2001, p. 43.

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