"Le souci des autres : au fondement de la Loi juive" : tel est le titre d’un livre du grand rabbin Gilles Bernheim, aujourd’hui grand rabbin de France. Il serait trop facile, à partir de ce passage d’Évangile, d’opposer le judaïsme, religion de la lettre et des pratiques rituelles – au christianisme, religion de l’esprit et de l’amour. Non, le souci des autres est bien notre souci commun, le commandement de Dieu que nous avons reçu ensemble.

Avec cette opposition simpliste, nous ferions une erreur fondamentale sur ce que vivent nos frères juifs, mais aussi nous tomberions dans la critique de l’autre, que Jésus veut justement nous interdire.

Jésus ne critique pas l’observation de pratiques. Il s’oppose au détournement qui nous menace toujours. Ainsi, je peux m’en servir non pour vivre ma propre fidélité, mais pour critiquer mon frère. Je ne reçois plus l’Évangile comme une parole de vie. Je l’utilise comme un instrument pour juger ou critiquer l’autre. Ce qui était parole de liberté devient arme de guerre. Ce qui fait vivre peut servir à tuer. Détournement, perversion. J’utilise le Nom de Dieu pour contrer ou nier ce qu’il signifie.

L’histoire chrétienne en montre bien des exemples – et en particulier dans la manière dont les chrétiens se sont comportés vis-à-vis des Juifs. C’est bien pourquoi j’ai voulu tout à l’heure que nous ne retombions pas dans l’opposition simpliste entre religion juive et religion chrétienne. C’est la même fidélité qui nous est demandée. C’est la même perversion qui nous menace.

Et cette perversion n’est pas seulement histoire passée. Elle nous menace aujourd’hui.

Je peux m’attacher à la tradition des hommes en laissant de côté le commandement de Dieu. Je ne fais plus du commandement de Dieu la norme de ma fidélité, mais la justification de ma manière de vivre, de ma manière d’être juif ou chrétien. J’ai perverti ma relation au commandement. Ce qui m’intéresse n’est plus ce que Dieu me demande, mais ce qui va me permettre de critiquer mon frère – voire ce qui va me permettre de détourner le commandement en m’en servant pour mes intérêts personnels, au lieu d’y trouver le garant du juste souci des autres.

Cela nous menace aujourd’hui dans des pratiques rituelles comme celles du lavement des mains. Tel s’agenouille pendant la consécration alors que l’ensemble de l’assemblée est debout. Tel reçoit le Corps du Christ sur les lèvres et les autres dans la main. La tentation de chacun est de faire de son geste une démonstration et une critique vis-à-vis des autres. Mais non, frères et sœurs, nous n’avons rien à critiquer, rien à démontrer ! Laissons chacun vivre sa manière d’être fidèle ! Si je commence à loucher vers mon frère pour le critiquer, je ne suis plus ni dans la vraie relation à Dieu ni dans la juste relation aux autres. Et si je passe ma messe à critiquer l’accomplissement des rites, j’en oublie d’être là et de prier en vérité !

Mais il y a plus grave que les pratiques rituelles. Je peux détourner le commandement de Dieu en m’en servant pour me justifier, justifier mes intérêts personnels – au lieu d’y chercher un guide pour vivre en vérité le souci des autres et la fidélité à Dieu. C’est ce contre quoi Jésus nous met en garde.

En considérant comme offrande sacrée ce que je dois à mes parents (ici, Marc 7,9-13), je peux utiliser le nom de Dieu pour justifier mon injustice et mon manque d’amour et de respect. Si « Dieu » doit me dispenser de mes devoirs de respect et de justice, je ne suis plus mené par le souci des autres, mais j’ai mis « Dieu » au service de mes intérêts personnels. C’est bien plus grave que des disputes sur des gestes rituels ; je pourrai être fidèle à accomplir ces gestes, mais être complètement à côté de la plaque s’il s’agit de prendre mes responsabilités dans le souci des autres.

Alors, Jésus nous interroge sur ce qui sort de notre cœur et nous fait agir. Ce qui vient du fond du cœur est ce qui est vraiment décisif.

Encore faut-il ne pas en rester aux bonnes intentions qui sont les pavés de l’enfer. Ce qui est décisif, c’est aussi notre agir. Mettez la parole en application, ne vous contentez pas de l’écouter, nous disait saint Jacques. Et le Deutéronome : écoute, pour mettre en pratique. Le livre de l’Exode rapporte les paroles du peuple après que Dieu lui ait proposé ses commandements : Nous ferons, et nous entendrons (Exode 24,7). Nos frères juifs aiment à reprendre ces paroles, en apparence paradoxales. Comment faire si on n’a pas d’abord entendu ? Et pourtant, que comprendrons-nous à ce que Dieu nous propose, si nous ne nous y collons pas concrètement ?

Sortons donc de la justification de nous-mêmes ou de la critique des autres, pour nous ouvrir, dans la simplicité du cœur, à ce que Dieu nous demande, à un véritable souci des autres.

 

Références bibliques : Dt 4, 1-2.6-8; Ps. 14; Jc 1, 17-18.21b-22.27; Mc 7, 1-8.14-15.21-23

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