« Ils étaient comme des brebis sans berger. »

Sommes-nous des moutons ?

Frères et sœurs, avez-vous vraiment envie d’être des moutons ? Voulez-vous former un troupeau dans lequel tout le monde se ressemble un peu et qui suit ses guides en bêlant ? Il est vrai que, partout dans la Bible, on parle de bergers et de brebis : Jacob, Moïse, David et bien d’autres ont été des bergers. Ils ont développé dans cet emploi les qualités qui leur ont été utiles par la suite pour rassembler et conduire des groupes humains. Mais si le monde de la bergerie est sans cesse présent, il est aussi travaillé, pensé, par les auteurs bibliques, pour exprimer notre réalité d’hommes et de femmes avec Dieu. Jésus se dira un jour le bon Berger, mais les Évangiles de la passion le présentent comme un mouton silencieux conduit à l’abattoir. Jésus est aussi appelé par Jean-Baptiste l’Agneau de Dieu – un nom que nous lui donnerons tout à l’heure avant de communier. Jésus se place dans une vieille tradition de son peuple : la Genèse nous apprend que Rachel, la femme du patriarche Jacob, était bergère ; or, son nom, Rachel, signifie brebis. Dès les origines du peuple de Dieu, une madame Brebis conduit un troupeau.

L’Église n’est pas une secte.

Brebis et bergers n’évoquent donc jamais dans la Bible une répartition des rôles selon laquelle les jeux seraient faits de manière exclusive. Un flux passe du berger au troupeau, du troupeau au berger : le vrai berger se fait agneau. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que ni Jésus ni les prophètes qui l’ont précédé – comme Jérémie – n’ont voulu créer de secte. Dans un groupe sectaire, le gourou mène à la baguette son cheptel humain et celui-ci n’a pas son mot à dire. Le chef reste chef et ses suiveurs indéfiniment suivent. Rien de tout cela dans l’Église du Christ. Comme le dit notre Évangile : Jésus instruit longuement le peuple qui est accouru. Et que lui enseigne-t-il ? Que tout ce qu’il sait, lui Jésus, tout ce qu’il a, tout ce qu’il est, nous pouvons le savoir, l’avoir, le devenir.

La preuve est déjà visible en la personne des disciples. À peine recrutés par Jésus, ils ont été envoyés par lui avec la mission d’annoncer le Royaume de Dieu et le pouvoir de guérir et de chasser les esprits mauvais. Ils reviennent aujourd’hui et lui racontent tout ce qu’ils ont fait et enseigné. Bien avant de comprendre vraiment que Jésus est le Christ, ils ont déjà part à sa parole, à sa puissance, à son intelligence. Lorsque Jésus instruit les foules, il leur dit de même que tout disciple prêt à le suivre deviendra comme le maître, que toute brebis, aussi fragile ou égarée qu’elle soit, peut prétendre à la stature de berger. « Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais », osera dire Jésus aux siens, « et même de plus grandes ».

Qui veut devenir berger ou bergère ?

On pourrait limiter la qualité de bergers aux disciples nommés par Jésus et à leurs successeurs. Le Pape, les évêques, les prêtres et les diacres seraient les seuls pasteurs : et de fait, ils le sont ! Mais la réalité du berger dont nous parle le Christ dépasse les frontières de l’institution : tout homme, toute femme qui reconnaît la voix du bon berger participe à son œuvre pastorale. On le sait bien ici dans ce diocèse de Nanterre. La bergère Geneviève, comme le dit le poète Charles Péguy, fut placée par Dieu à la tête d’un troupeau humain, à Paris, dans les temps difficiles du Ve siècle. Elle contribua à rassembler le peuple et à lui rendre l’espérance. On le sait aussi dans cette chapelle où une des cloches est dédiée à sainte Jeanne d’Arc : la bergère de Domrémy devenue meneuse d’hommes pour la libération de son peuple.

Le berger donne sa vie pour ses brebis.

Être berger ou bergère n’est pas cantonné à un certain type d’action prévu d’avance. Que fait le berger fondamentalement ? Jésus nous l’apprend dans l’Évangile de Jean : il donne sa vie pour ses brebis. Jésus reprend en cela les paroles de David, son ancêtre, le berger de Bethléem : quand un lion ou un ours emportait une brebis du troupeau, raconte David, je courais pour l’arracher de sa gueule. Le vrai berger fait corps avec son troupeau. La menace qui pèse sur ses moutons, il la porte lui aussi, il l’affronte. Bien plus, le berger authentique s’identifie au plus faible de son troupeau, à l’animal le plus démuni que les prédateurs guettent en priorité : l’agneau. Il endosse le risque qui frappe le plus exposé. Le berger fait corps avec l’agneau.

Le Fils de Dieu, notre berger, est aussi l’Agneau de Dieu. Comme on marque les bêtes d’un troupeau du nom de leur propriétaire, il nous marque du nom du Père. L’agneau est désormais appelé « agneau de Dieu » : le plus fragile se trouve estampillé du nom de Dieu. Dans le Christ, notre fragile humanité coexiste avec la puissance de Dieu. L’agneau et le berger ne font qu’un.

Cette logique que le Christ enseigne s’oppose aux logiques du monde. Dans le monde en général, on privilégie les puissants et on ignore les humbles, on n’a pas idée que le fait d’être vulnérable puisse être l’occasion d’une force qui n’est pas de ce monde. Or, c’est bien cela que Jésus enseigne à ceux qui l’approchent. Par lui, avec lui et en lui, toute brebis, tout agneau peut apparaître comme berger et guider ses frères et sœurs vers cette vérité de Dieu présent dans notre humanité.

Frères et sœurs, si vous n’avez pas envie d’être seulement moutons, devenez bergers. Le Christ en témoigne : les deux réalités sont compatibles, et même recommandées.

 

Références bibliques : Jr 23, 1-6 / Ps. 22 / Ep 2, 13-18 / Mc 6, 30-34

Référence des chants :

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