Que se passe-t-il ces derniers mois dans l’Église ? Nous tous, nous voyons un pape François qui est en train de nous montrer la proximité et la tendresse de Dieu, et ses idées et sa façon de faire, attire la sympathie et réveille l’attention de beaucoup de monde. Il y a aussi ceux qui sont préoccupés et scandalisés parce que pour le pape François, la miséricorde vient avant la doctrine. Mais le peuple de Dieu ressent que le pape François marche sur la bonne voie, qu’il s’agit de la voie de l’Évangile et la voie de Jésus. Nous pouvons appeler ce chemin, la voie d’un Dieu concret, qui se fait proche de l’homme concret et chaque personne concrète a un visage et un nom.

En ce moment nous nous regardons les uns les autres. Il y a ceux qui à la maison nous regarde à la télévision. Chaque visage a une histoire derrière lui, des secrets, ses pensées, ses émotions. Les béatitudes que nous venons de proclamer dans l’Évangile nous parlent de beaucoup de visages, surtout des souffrants. Ou encore de visages qui luttent pour quelque chose de fort : comme la paix, la douceur de cœur, ou le projet divin qui est appelé justice. Chaque béatitude renvoie à des milliers, des millions de visages et d’histoires concrètes. Les spécialistes des médias ou de la mode vont à la chasse aux visages qui « percent l’écran », comme on dit dans le jargon. Et nous tous, nous avons en mémoire des visages de personnes connues ou encore des grands portraits qui ont fait l’histoire du journalisme ou de l’art. Ceux-ci sont des visages qui nous interpellent et nous attirent, et en quelque sorte, nous pouvons nous reconnaitre en eux.

Nous pourrions relire les pages bibliques d’aujourd’hui les yeux fermés et à chaque personnage cité, nous pourrions superposer un visage précis, quelqu’un que nous connaissons. Et voilà que ces pages bibliques deviendraient tout de suite plus concrètes.

Aujourd’hui, c’est la solennité de tous les saints ; la Toussaint. Nous pourrions l’appeler : solennité de tous les visages, solennité d’une Église concrète. Vous voyez qu’en changeant seulement son nom, cette fête devient plus proche. Et nous ne sommes pas les premiers à avoir besoin d’un Dieu proche, un Dieu « de maison, un Dieu de famille ». Si par exemple nous entrons dans cette église d’Ascona, nous sommes immédiatement attirés par les visages du grand retable de l’autel majeur, dans mon dos. C’est la dernière toile de Giovanni Serodine, peintre d’Ascona qui a vécu à Rome et s’est inspiré de Caravage, au XVIe siècle. Dans le film d’introduction que nos amis téléspectateurs ont pu voir, le Père Massimo nous parlait d’une des premières toiles de Serodine : l’invitation à Emmaüs, placée à l’entrée de l’église. Elle montre Jésus qui nous prend par la main, pour nous conduire ici à l’eucharistie. Et quand on s’avance, se déclenche le magnétisme du retable de l’abside. Je me sens figé face à ce saint Pierre : un large front, cheveux aux vents, regard intense et tendre. Saint Paul m’appelle énergiquement et avec son bras levé m’ordonne de regarder en haut, au bout de mon parcours terrestre, la couronne de gloire avec Marie couronnée. Saint Jean l’évangéliste me plait aussi : un jeune, avec dans les mains, les paroles de vie du maître divin, attendant mon regard, mon attention. Et de l’autre côté de la toile, il y a un autre jeune : Sébastien, martyr, qui contemple déjà la gloire du ciel.

À l’entrée de l’église, il y a aussi une autre des premières toiles de Serodine : Jésus qui appelle Jacques et Jean, les fils de Zébédée. Ici, les tons sont sombres et l’iris de l’œil doit s’ouvrir au maximum pour cueillir les regards qui se croisent, leurs fronts plissés, les postures des corps. Cet appel aussi nous parle de proximité, de contact personnel. Ici, aussi, nous voyons des personnages qui percent l’écran, non pas parce qu’ils sont des stars, mais parce qu’ils nous ressemblent et sont traversés par la vérité de la vie.

Mais savez-vous pourquoi ces visages sont si efficaces ? Parce qu’ils sont réalistes. En fait, Serodine choisissait comme modèles des personnes réelles. Dans certains de ces personnages, par exemple, il semble qu’il ait reproduit le visage de son père, Cristoforo et de ses deux frères Giovanni Battista et Bartolomeo. Ces visages, l’artiste les connaissait bien, il connaissait leur caractère, leurs problèmes et leurs rêves. Ces visages avaient observé Serodine depuis tout petit. Ils sont des visages capables de transmettre vraiment, parce qu’ils ont un vécu derrière eux, que nous pouvons encore ressentir aujourd’hui. Les béatitudes ont besoin de visages concrets pour être des histoires qui nous parlent.

Cette église de proximité me touche et m’attire ! Chaque personnage de l’Évangile et chaque visage des béatitudes me deviennent plus proche, et nous tous, nous avons besoin de nous découvrir plus proches les uns des autres. Nous avons besoin de découvrir un Dieu proche et une Église qui, du premier au dernier baptisé, sait vivre la proximité et l’empathie. Nous avons besoin de baptisés capables de croiser les regards de tous pour être vraiment un « hôpital de campagne » qui sait soigner les blessures des cœurs. Voilà aussi une belle image, forte, du pape François.

Dans l’Apocalypse, nous entendons un dialogue entre celui qui regarde et celui qui est regardé. Je veux relire quelques lignes : « L’un des Anciens prit alors la parole et me dit : « Tous ces gens vêtus de blanc, qui sont-ils et d’où viennent-ils ? » et c’est l’Ancien lui-même qui répond ensuite : « Ils viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau. » N’êtes-vous pas interpelés par ces visages peints ? Ils sont le visage de votre voisin, de votre fils, de votre mari, de votre épouse, de votre père ou de votre mère. Ne sommes-nous pas interpelés par les visages des chômeurs, des réfugiés érythréens qui meurent dans les eaux de Lampedusa ? Il y a un mois à Assise, le Pape a parlé de personnes dépouillées par la vie et par les injustices de la globalisation. Ces visages ne nous interpellent-ils pas ? Les politiciens et les citoyens, quand ils votent sur les réfugiés et les immigrés, se demandent comment limiter leurs arrivées. Nous les chrétiens, nous devrions plutôt nous demander : pourquoi doivent-ils partir ?

Si dans l’Église nous ne savons pas regarder et nous laisser vraiment regarder, alors nous devenons ridicules. Le pape François parle de « chrétiens de pâtisserie » : beaux, mais ridicules. Nous devons avoir le courage de montrer et regarder les visages concrets et ce qui se trouve dans les cœurs. Nous avons trop souvent des visages conformes, comme le protagoniste du film « Matrix ». Au contraire, il faut des visages qui parlent, des visages sincères qui pleurent et rient comme les visages des béatitudes. Cela nous fera devenir une Église de proximité capable de regarder et d’agir aussi politiquement ; capables de caresser des visages et se laisser caresser comme l’a fait le pape François à Assise avec de jeunes personnes handicapées. Je veux dédier une dernière pensée aux personnes qui ont subi une perte au sein de leur famille. La fête des saints est proche de la commémoration des défunts et beaucoup d’entre nous, aujourd’hui, iront au cimetière pour prier et pour se souvenir. Aujourd’hui, il existe beaucoup de propositions pour répondre au besoin de contact avec les personnes décédées. Il y a des groupes qui misent sur la psychologie et les effets spéciaux. Avec respect et compréhension, je vous confesse qu’ils m’attristent parce que je ne sais pas si ces tentatives réussissent à consoler vraiment et à redonner l’espoir.

Malheureusement, souvent celui qui a été profondément blessé s’attache à n’importe quoi, mais la proposition de Jésus est différente et si nous l’accueillons, elle peut vraiment nous aider. Peut-être comme chrétien nous devrions réapprendre à voir les visages de nos chers défunts dans les grandes scènes des béatitudes ou de l’Apocalypse. Il s’agit des scènes qui parlent de vie concrète et de la possibilité d’affronter les événements, unis au Christ, immergés dans l’amitié avec lui, dans ce « sang » qui rend candide, c’est-à-dire resplendissant de la force divine de l’Amour. Si nous relisions les visages de nos proches, dans ces pages étonnantes, la valeur de leur vécu viendrait à notre rencontre comme une consolation délicate et si les blessures ne peuvent pas disparaitre, elles pourront au moins cicatriser.

Je suis toujours heureux d’organiser des messes pour la télévision. Nous mettons sur les ondes les visages de beaucoup de personnes qui prient. Il suffit parfois d’un regard ou d’un sourire pour ressentir une vie et cela est aussi Évangile et Église de proximité qui entre délicatement dans chaque maison. Non pas pour faire du spectacle, mais pour donner un visage aux saints d’hier et d’aujourd’hui pour encourager et pour soigner. Amen !

Références bibliques : Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps 23 ; 1Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12

Référence des chants :

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