« Qu’est-ce qui nourrit ? », pourrait être la question essentielle que nous pose aujourd’hui l’évangile. « Qu’est-ce qui te nourrit vraiment ? »

Nous sommes dans une société d’abondance ; en théorie, plus personne, dans nos régions, ne meure de faim. Mais si l’on a répondu à la faim du ventre, a-t-on nourri la faim de l’âme ? La famine ne touche pas seulement le corps, elle peut aussi être celle de l’esprit. L’exaspération et la colère que nous ressentons parfois ne viennent-elles pas de nos âmes qui crient famine ? Oui, notre époque est celle où nos âmes crient famine. Nous avons tout pour remplir nos panses, mais nous sommes démunis pour nourrir nos petits et grands creux de l’âme.

Qu’est-ce qui nourrit l’âme ? L’évangile nous le dit : l’homme a faim de paroles bonnes et de relations qui font du bien. La parole et la nourriture sont les deux nourritures essentielles et élémentaires dont l’homme a besoin pour vivre. Sans elles, il perd ses forces, il dépérit. Jésus avait compris cette faim essentielle de l’homme ; nous le voyons « parler aux foules du règne de Dieu et guérir ceux qui en avaient besoin ». En parlant aux foules du règne de Dieu, Jésus excitait, si l’on peut dire, leur appétit de vivre selon la manière dont Dieu agit. Il ne leur faisait pas miroiter des espoirs illusoires, il ne leur promettait pas du « pain et des jeux, non, il ouvrait leur désir d’une vie qui ne serait plus à la remorque de la convoitise, qui ne chercherait plus à prendre de force ce qui est donné. Il leur disait que la vraie liberté est dans la vérité de l’amour, que le pardon est donné d’avance, que la vraie joie apparaît pour celui qui est affamé de vie bonne, mais qu’elle se refuse à celui qui se goinfre de lui-même. Les gens avaient faim de cette parole, c’est pourquoi ils n’hésitaient pas à rester des heures à l’entendre, quitte à en oublier l’heure du repas !

En même temps, Jésus ne délaissait pas le soin des corps ou, plutôt, il méconnaissait le divorce entre ce qui nourrit le corps et ce qui nourrit l’esprit ; en prenant soin de ceux qui en avaient besoin, il donnait à leurs membres d’éprouver à nouveau le goût de vivre, ce désir de revenir à la source de la confiance, cet appétit pour un avenir qui ne serait plus condamné par un passé qui ne passe pas. Jésus soignait les yeux qui ne voient plus rien à force de pleurer leurs espoirs perdus, les oreilles fatiguées d’entendre toujours les mêmes peurs et les mêmes angoisses, les bouches fermées à force de ne pas se sentir justifié d’exister. C’est à eux que Jésus offrait la nourriture de la relation bonne, du soin qui permet d’aller mieux, le courage de vivre qui donne de faire un pas de plus.

Oui, les deux nourritures essentielles à l’être humain sont bien la parole et la relation : sans elles, il coure le risque de la malnutrition existentielle et spirituelle. Il aurait beau alors se gaver de choses, se noyer dans la boulimie de la consommation, il ne serait plus un humain mais un ventre. Les époques changent et avec elles les cultures et les modes passent, mais ce qui ne change pas, ce sont ces nourritures élémentaires sans lesquelles le monde deviendrait aussitôt violent, bestial, inhumain.

Dans l’évangile, la parole et la relation sont désignées par deux métaphores : le pain et le vin. Le pain, c’est l’aliment de base, c’est-à-dire la parole. De son côté, le vin exprime la joie de la relation, surtout quand celle-ci s’épanouit en amitié. Une bonne table, comme on dit, partage ces deux aliments, afin que les convives en ressortent rassasiés mais non repus. Il est préférable, nous disait mon père, de quitter la table avec une petite faim, celle qui fait désirer de nouveaux partages, de nouvelles occasions de nous nourrir du bon pain de la parole et de nous désaltérer grâce au bon vin de la relation. Ces deux métaphores du pain et du vin, pour traduire en de multiples images parlantes notre appétit pour ce qui nous nourrit vraiment, trouvent en l’eucharistie leur symbole le plus fort. Malheureusement, l’eucharistie est devenue pour beaucoup un rendez-vous qui n’a rien de « gastronomique », où résonne si peu l’invitation à une « bonne dégustation ». Mais le pain que Jésus partage lors de son dernier repas avant de mourir, c’est sa parole qui nous nourrit ; et la coupe de vin qu’il fait passer, c’est la nouvelle Alliance, c’est-à-dire la nouvelle qualité de relation qu’il fête avec nous.

Nos célébrations seraient-elles devenues anorexiques ? Pourtant, à l’extérieur des églises, la grande majorité des gens demandent le bon pain de la parole et le vin gouleyant de la relation. « Donnez-leur vous-mêmes à manger », demande Jésus aux Douze. Les douze paniers remplis du bon pain de la parole ont été préparés pour nous : mais si personne n’y puise pour les partager à ceux qui ont faim, qui le fera ? La responsabilité des disciples du Christ n’est pas de commémorer la dernière Cène par des rites fossilisés et répétitifs, mais d’offrir généreusement et sans exclure personne, le pain de la parole et le vin de l’amitié. « Donnez-leur vous-mêmes à manger » : on y entend comme un léger reproche. Les Douze sont tentés de renvoyer la foule vers des magasins où ils pourront peut-être manger, mais sans être nourris. Si nous ne donnons pas nous-mêmes à manger le pain de la parole, les gens iront la chercher ailleurs et la nôtre moisira dans ses tabernacles.

Le pain que nous allons recevoir dans cette eucharistie nous est donné uniquement pour être distribué aux foules affamées de vie bonne. Oui, la grande distribution n’est pas synonyme d’un service de moindre qualité ou d’anonymat : le pain de la vie bonne ne connaît que le commerce de proximité !

Références bibliques : Genèse 14, 18-20 ; Ps. 109 ; Lettre St Paul apôtre 11, 23-26 ; Luc 9, 11b-17

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