A l’occasion du Festival de Chant Choral de Langue Bretonne

Trois grandes figures dominent ce temps de l’Avent, ce temps de l’attente, de la venue proche. Isaïe d’abord : Il annonce. Ensuite Jean le baptiseur : Jean désigne, montre du doigt. Marie enfin, une jeune femme qui porte en son sein celui qu’on attend.

Aujourd’hui, place à Jean. Mes rapports avec Jean datent de ma petite enfance. Baptisé du nom de Pierre, je le fus dans une église dédiée à Jean : Saint-Jean du Baly à Lannion. Je me souviens très bien de la statue comme d’un vitrail : un ascète à moitié nu, hirsute, vêtu d’une peau de chameau, se nourrissant de sauterelles et de miel sauvage ; à ses pieds, un agneau tenant curieusement entre ses pattes un petit drapeau. Le Jourdain, le désert ; comment ne pas en être fasciné ! J’en rêve encore.

Par-delà ces images, à la fois fortes et floues de l’enfance, une autre étape de la fascination : celle qui m’a fait choisir, en entrant en vie religieuse dominicaine, le patronage de Jean pour tenir compagnie à Pierre. Fasciné par un prêcheur, un tribun austère, entouré de disciples parmi lesquels un certain Jésus, un prophète annonçant avec violence l’imminence du Jour de Dieu.

Pourquoi – pour moi – cette fascination qui dure encore ? Parce que Jean a été un " déroutant " et que, par la suite, il a été lui-même " dérouté ".

Jean déroute ; il fait changer de route ; il montre un autre ; il désigne : " Es-tu le Messie ?" – " Non ! Je suis celui qui crie : Il vient ! Préparez le chemin… Il y a quelqu’un au milieu de vous que vous ne connaissez pas… Il vient derrière moi, mais il est plus grand que moi. " Montrant Jésus qui passe, Jean dit : " Le voilà, c’est Lui ! " Deux de ses disciples le quittent et suivent Jésus : " Maître, où habites-tu ? " – " Venez voir. " " C’était quatre heures de l’après-midi ; je m’en souviens très bien ", écrira plus tard le disciple que Jésus va aimer. Quelle leçon : un maître assez lumineux pour attirer, assez humble pour s’effacer devant un autre, devant l’Autre.

Le " déroutant " va être aussi un " dérouté ". Il a désigné Jésus ; c’est Jésus qui, à son tour, baptisé, attire des disciples, fascine les foules. Et voici que Jean, mis en prison par le roi Hérode, est tout perdu. Il ne comprend pas. Il envoie vers Jésus des messagers : " Es-tu celui qui doit venir, ou faut-il en attendre un autre ? Qu’attends-tu pour passer ce monde au feu ? "

C’est qu’en effet, la prédication de Jésus est bien éloignée de la prédication de celui qui l’a baptisé. Celui-ci, Jean, annonce le jugement, la colère de Dieu. " La hache est déjà au pied de l’arbre… Engeance de vipères, vous allez périr ! "… " Mais si vous changez, peut-être Dieu reviendra-t-il de sa colère. Faites pénitence. "

Jésus, lui, ne dit rien de tel. Pensons à Zachée, à la Samaritaine, à la femme adultère, à tant d’autres rencontres. Jésus ne dit pas à Zachée : " Tu es une canaille, un voleur… Convertis-toi, change, et j’irai peut-être te rendre visite. " Jésus, sans doute ému et amusé de ce notable perché, dit : " Zachée, descends vite, j’aimerais bien aller déjeuner chez toi. " Zachée est tout heureux. C’est parce qu’il se sait reconnu et aimé qu’il fond, qu’il craque, qu’il veut changer.

N’est-ce pas ainsi pour les enfants ? On ne les aime pas parce qu’ils sont beaux, bons, gentils ; mais les aimer c’est leur donner une chance d’être beaux, bons et aimants. D’un côté on est aimé si on change ; de l’autre on change parce qu’on est aimé.

On peut se demander si, au fil des siècles, la prédication chrétienne, bien souvent, n’a pas été plus proche de la prédication de Jean que de la prédication de Jésus : " Changez vos coeurs, faites pénitence et peut-être la colère de Dieu s’apaisera…"

Comprenons bien ceci : derrière ce discours, il y a deux images, deux visages de Dieu. D’une part, l’image d’un Dieu dominateur, législateur, juge ; le péché, alors, sera désobéissance, transgression, culpabilité. D’autre part, l’image du Dieu créateur, libérateur, passionné de l’homme jusqu’à en mourir. " Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils ", pas pour condamner le monde, mais pour qu’il vive, dira Jésus à Nicodème. Le péché, ici, consiste à laisser vide le merveilleux espace ouvert par l’acte créateur ; c’est ne pas inventer l’amour au fil des jours ; c’est ne pas créer ce réseau de relations justes et positives qui sont le Royaume ; c’est ne pas s’avancer à nos risques et périls vers l’avenir ouvert ; c’est enfouir son talent ; c’est avoir peur et faire peur.

Aujourd’hui, c’est le temps de Jean, le temps des annonceurs : " Préparez le chemin, il vient…Il y a quelqu’un au milieu de vous que vous ne connaissez pas. " Découvrez-le ; il a le visage de votre désir, de votre solitude, de votre soif ; il est aussi votre eau vive et votre pain ; il est notre amour.

Références bibliques :

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