1- Qui est-il, cet homme Jésus qui envisage, comme issue de son aventure humaine, non pas la réussite telle que les hommes l’entendent, non pas la gloire telle que les hommes se la disputent, non pas le pouvoir tel que les hommes sont prêts à tout sacrifier pour le conquérir, mais plutôt une fin tragique, un échec selon les critères humains.
« Le Fils de l’homme, déclare-t-il dans la deuxième annonce de sa passion, est livré aux mains des hommes, ils le tueront… » (Mc 9,31)

En fait, Jésus sait, en vertu de la clairvoyance et de l’extrême lucidité qui le caractérisent, que c’est à cet épilogue dramatique que le mènera sa fidélité à la mission reçue du Père, mission qui consiste essentiellement à révéler son amour infini aux hommes.
« Dieu a tant aimé le monde, déclare-t-il à Nicodème, qu’il a envoyé son Fils, son unique. » (Jn 3,16)

Ce Fils, comme le rappelle l’épître aux Hébreux, est l’expression parfaite de l’être de son Père, ayant tout reçu de lui. Dieu étant Amour comme nous le dit saint Jean, le Fils l’est tout autant, puisque tout ce qui est au Père est à lui et réciproquement. (Jn 17,10) Et l’amour vrai entraîne même jusqu’au don total de soi : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 12), déclare-t-il lui-même à ses disciples.

L’annonce de la passion trouve donc là sa signification. Comme le déclarait le pape Jean Paul II aux jeunes de France, en 1980, « Par sa passion, Jésus est l’homme qui a le plus aimé, le plus consciemment, le plus volontairement, le plus gratuitement. » Par sa passion, ajoutait-il dans un autre contexte (Italie 1983) « il nous a aimés jusqu’au comble de l’amour, par le don même de sa propre vie, c’est-à-dire sans mesure. »

Et c’est aussi ce don de soi, poussé jusqu’à l’extrême, que nous voyons à l’œuvre dans la vie de Claude Poullart des Places, fondateur de la Congrégation du Saint Esprit, dont nous célébrons le 300e anniversaire de la mort. Voici ce qu’en dit le père H. le Floch, dans sa première biographie : « La charité la plus ardente embrasait l’âme du saint fondateur avec la piété qui, d’après saint François de Sales, en est la perfection et la flamme. Et la meilleure preuve de ce tendre attachement pour Dieu est dans le sacrifice de tout par amour pour lui. Il ne s’était rien réservé de ses biens terrestres, de ses actions, de ses travaux, des affections de son cœur. » (p. 370) Et la fécondité d’un tel engagement spirituel s’est bien laissé voir dans le développement et l’action de la Congrégation, dont les membres, à leur tour, n’ont épargné ni leur confort, ni leur sécurité, ni leurs biens, ni leur santé, ni même parfois leur vie, par amour pour ces peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique, vers qui ils ont été envoyés pour annoncer la bonne nouvelle de l’amour et de la miséricorde de Dieu, en paroles et en actes.

2- C’est ainsi que se déploie la logique de l’Amour qui implique désappropriation totale de soi, qui implique anéantissement. Mais, il faut l’avouer humblement : c’est pour nous tous une logique vraiment paradoxale, étonnante, voire même déroutante.
Pour Jésus en effet, cet anéantissement donne lieu à sa glorification, comme il le déclare lui-même en évoquant ce qu’il appelle « son heure » : « Voici venue l’heure où doit être glorifié le Fils de l’homme. » (Jn 12,23)
Ainsi, l’annonce de sa résurrection, « trois jours après », nous amène à comprendre que sa mort constitue en fait l’échec le plus implacable de la puissance du mal, celle par qui « la mort est entrée dans le monde » (Sg 2,24). C’est ce qui fait dire à saint Éphrem : « Notre Seigneur a été piétiné par la mort, mais en retour, il a frayé un chemin qui écrase la mort. Il s’est soumis à la mort et il l’a subie volontairement pour la détruire malgré elle. » (Homélie sur Notre Seigneur, IVe s.).

3- Les disciples, quant à eux, sont plutôt tiraillés par d’autres désirs, habités par d’autres préoccupations, préoccupations d’honneur, de hiérarchie, de gloire.
Et comme cela arrive si souvent dans une telle perspective, la dispute ne peut pas ne pas surgir : « Ils avaient discuté entre eux, nous dit l’évangile, pour savoir qui était le plus grand. » (Mc 9,34)
N’est-ce pas d’ailleurs ce sur quoi l’apôtre Jacques vient de nous alerter en disant, entre autres : « La jalousie et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisante. » (Jc 3,16) ? N’est-ce pas aussi le spectacle désolant que nous offre le monde d’aujourd’hui, secoué par des conflits interminables et par la violence qui s’y déploie, quasi souverainement et sous des formes multiples et variées, véritable jungle où la loi du plus fort, malgré quelques évolutions positives, reste encore en vigueur ? Et les disciples, hélas, en étaient encore à ce stade, prisonniers de cette logique meurtrière du pouvoir et de la gloire. C’est pourquoi Jésus se met à les introduire dans la révélation du mystère de ce qu’il est et de ce qu’ils sont appelés à être. Il leur montre ainsi le chemin de sa propre réalisation, et partant, de leur réalisation, leur faisant comprendre que l’homme parvient à son véritable accomplissement, non pas dans l’accumulation de l’avoir, ni dans l’enivrement du pouvoir, ni dans l’euphorie de la gloire ou du valoir, mais plutôt dans une vie transfigurée par l’amour, oui, transfigurée par un amour poussé jusqu’à l’extrême, et se manifestant dans le service humble et désintéressé de ses frères, à l’exemple de la scène du lavement des pieds.

4- Voilà le vrai défi que l’homme doit lever, celui d’accéder à sa véritable humanité, en devenant un « homme-pour-les-autres », heureux d’aimer et de servir jusqu’au bout, quoi qu’il en coûte. C’est bien là d’ailleurs, la signification de la croix du Christ, qui, comme le dit l’apôtre Paul, est notre seule fierté.

Demandons donc au Seigneur la grâce et la force de faire triompher la vie en faisant triompher l’amour, partout où nous sommes. En effet, ce n’est qu’une civilisation de l’amour, pour reprendre l’intuition forte du pape Jean Paul II, qui sauvera l’humanité et lui évitera de sombrer dans le non sens.
Amen.

Mes éthiopiques : à la rencontre des chrétiens d'Orient

Références bibliques : Sg 2, 12.17-20; Ps. 53; Jc 3, 16-4,3; Mc 9, 30-37

Référence des chants :

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