Grâce d’un spectacle choral, ardent et volontaire, Émilie Monnet, d’origine anichinabée, nation autochtone d’Amérique du Nord, ressuscite Marguerite Duplessis, le temps d’une heure volcanique, des cendres de l’oubli.  

D’aucuns - au demeurant peu nombreux - ont un vague souvenir de Marie Duplessis, alias Marguerite de la Dame au Camélia d’Alexandre Dumas, figure de la courtisane, ou plus exactement la femme asservie par les mœurs parisiennes du XIXe siècle. Mais qui a déjà entendu parler de Marguerite Duplessis, figure d’esclavage et d’émancipation que des hommes de la Nouvelle France, au XVIIIe siècle, ont réduit à néant ?  

En 1740, dans les terres de la Nouvelle France, entre Montréal et la Nouvelle Orléans, métisse, née d’un père français, à moins qu’elle ait été adoptée, et d’une mère autochtone, Marguerite Duplessis (vers 1718 - après 1740) est la première esclave autochtone - une Pawnee - à revendiquer son identité, mais aussi et surtout sa liberté, à la face des représentants du système judiciaire colonial, face aux mœurs de son siècle.  

Fille naturelle, d’aucuns disent adoptée, d’une certain François-Antoine Lefebvre Duplessis Faber, Marguerite devient en 1735 la « propriété » en 1735 de Louis Fornel, puis en 1740 de Marc-Antoine Huart Dormicourt qui, insatisfait de ses « services », l’accuse de libertinage, voire de vol, et décide de la déporter, comme esclave, en Martinique. Cherchant à faire reconnaître ses droits, Marguerite sollicite la plaidoirie de Jacques Nouette, puis tient tête à Marc-Antoine Huart Dormicourt lors d’un procès qui, du 1er au 20 octobre 1740, est instruit en bonne et due forme par le juge Gilles Hocquard. Cependant, malgré la défense avisée de Jacques Nouette, et l’intervention de prêtres acquis à sa cause, Marguerite peine recouvrer ses droits de liberté, perd son procès, puis, remise au bon vouloir de Dormicourt, est finalement envoyée par cet homme sans principe dans les plantations de Madinina, en Martinique, au pied du volcan de la Montagne Pelée.  

Grâce à une enquête dans les rues de Montréal où, depuis peu, des plaques commémoratives évoquent maints destins longtemps occultés, comme celui de Marie-Josephe Angélique (1710-1734), esclave noire qui, accusée d'avoir provoqué l'incendie de la ville, est exécutée en place publique, mais aussi grâce à une immersion dans les archives et les minutes du procès de Marguerite Duplessis, Émilie Monnet nous propose un spectacle choral pour le moins singulier.  

Sans jamais céder à la violence d’un réquisitoire, théâtre, danse et chants aux intonations améridiennes et contemporaines, voire grégorienne le temps d’un procès évoqué recto tono, « Marguerite, le feu » est un mémorial pétri d’humanité. Mais c’est aussi un sursaut éruptif quand explose, à l’image d’un volcan, ce qui demeure depuis trop longtemps enfoui sous les cendres de l’histoire.  

Une heure durant, sur fond d’images où s’entremêlent pages d’archives et lave en fusion, grâce à l’engagement total - de corps, d’âme et d’esprit -d’Anne Beaupré Moulounda, de Catherine Dagenais Savard, d’Émilie Monnet et de Tatiana Zinga Botao, « Marguerite, le feu » est, in fine, une exhortation à « être nous-même Marguerite », nous seulement pour défendre courageusement nos propres droits et ceux de tout un chacun, si tant est qu’il faille les défendre, mais aussi ceux des femmes d’hier, d’aujourd’hui et de demain quand l’esclavage - sous quelle que forme de ce soit - n’est jamais très loin.   

Ce soir de première, lors des applaudissements, un « vive Marguerite » résonnait comme un « que vive Marguerite » au gré d’une véritable résurrection !   « Marguerite le feu » de, du 6 au 11 juillet, à 19h00 au Théâtre Benoît XII. Un spectacle en tournée à ne pas manquer.  

Frère Thierry HUBERT o.p., frère Charles DESJOBERT o.p., et frère Rémy VALLÉJO o.p.

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