L’Ascension apporte des mots d’images, des images de fête.
On lève la tête, on regarde le ciel, on en attend toujours une promesse. « Le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu ». De quoi fut-elle donc faite, cette expérience des apôtres ? Quelle fut la part des sens, quelle fut celle de l’esprit ? Je ne le sais pas. Reconnaissons tout simplement l’humble nécessité des images. L’Ascension, c’est l’enlèvement d’un lieu pour un autre, c’est l’invitation au grand déplacement de la vision à la foi, de ce qui est compris à ce qui est cru. Afin de voir plus clair, afin de croire plus intelligemment, il faut descendre, descendre pour mieux monter.

Le récit de l’Ascension présente un double départ. Celui de Jésus, départ effectif, départ définitif. Quarante jours après Pâques, le Christ n’est plus visible aux yeux de chair de ses disciples. L’autre départ, c’est celui des apôtres : « Quant à eux, ils s’en allèrent proclamer partout l’Évangile ». Ces deux départs sont-ils précipités ? On serait tenté de le croire. C’est, apparemment, sur une insécurité évidente, sur une incrédulité non résorbée, sur une compréhension mal assise de ce qui se passe, que Jésus laisse ses disciples et les lance dans l’aventure de la mission. N’aurait-il pas été plus judicieux de rester encore quelques temps avec eux, de les former davantage, de les préparer aux persécutions à venir ? Quelle est donc cette logique qui fait prononcer à Jésus la dispersion des apôtres au moment où leur foi en Sa résurrection est tout juste à naître ? Peut-on malmener un nouveau-né ? Mais Jésus ne réfléchit pas ainsi. 
Risque calculé, ou géniale improvisation ? La question ne s’enferme pas dans ces termes. Ceux-ci relèvent trop d’une logique de la planification, qui tiendrait compte des pourcentages d’assurances et de risques, de réussite et d’échec, d’atouts et de malchance. 
Avons-nous, nous-mêmes, cherché à planifier ainsi notre vie ? Non. Nous nous sommes appuyés, comme nous nous appuyons ce matin, sur la dynamique d’une promesse. Sur la foi en une vie nouvelle, sur quoi la mort n’a pas de prise. Sur un Esprit qui doit venir. Le point d’ancrage, pour nous comme pour les apôtres, est en avant, et non en arrière. Les signes jaillissent devant, et non derrière. C’est cela, l’aventure de la foi. Ce fut notre choix.

Alors, pourquoi faut-il que l’élan évangélique reste si souvent retenu aux fragiles sécurités du passé et du moment ? C’est peut-être que, trop naturellement, le chrétien est trop prudent, d’une prudence qui marie trop vite le christianisme avec la logique du monde. On voudrait garantir les moissons avant de risquer les semailles. Cette sagesse des préalables, qui veut que tout soit minutieusement au point avant de courir le pari de la foi, relève-t-elle d’un principe évangélique ? On peut vraiment se le demander. Si nous attendons la perfection des rites et du langage, ou la nôtre et celle de nos frères, pour nous lancer, quand serons-nous prêts ? Notre faible engagement ensable le monde. Alors, est-il possible de secouer cette habitude d’évangéliser où nous sommes presque plus pressés, comme l’écrit le Pape François dans sa première exhortation « Evangelii Gaudium », de considérer le tableau de marche plutôt que la marche elle-même ? 

Jésus parti, il nous revient ; il nous revient d’aller dans le monde entier, il nous revient d’être Christ, chez nous et pour les autres. « Proclamer partout l’Évangile » : on ne peut dire plus clairement la mission universelle de l’Église. 
Nous, nous traduisons parfois : l’Évangile devrait couvrir la surface de la terre. L’évangélisation procéderait par extension d’un tissu clérical. Il faudrait diffuser l’Évangile comme on diffuse une information. Mais Jésus laisse ses disciples sur terre et à la terre, avec mission de la faire advenir à Dieu, comme l’achèvement de Sa propre Pâque. 
Comme le rappelle Mgr Lovey dans son message pascal, si Jésus « est passé en faisant le bien », c’est à nous désormais de faire le bien pour faire passer ce monde en Dieu, et Dieu dans ce monde. Par l’Ascension, nous sommes à nouveau renvoyés à terre, au monde, nous sommes invités à poser d’abord nos pieds sur notre sol, comme nous aimons le faire sur nos chemins de montagne. Tout au contraire d’une évasion de notre vie, l’Ascension est une leçon de réalisme. Nous sommes à nouveau invités à ne pas stationner dans le ciel de nos rêves. Terre et ciel se distinguent comme au premier jour de la création, et c’est la terre qui nous est à nouveau attribuée, donnée, non pas abandonnée. 
Certains tableaux de l’Ascension montrent la trace des pieds de Jésus comme unique relique « en creux » de Son départ, apparent redoublement de Son absence comme le tombeau vide du matin de Pâques, mais signe de notre vocation en même temps que de Sa nouvelle présence. A nous d’informer aujourd’hui cette terre d’une Parole, ce qui est ici davantage que lui communiquer un renseignement, mais lui insuffler un langage neuf, la pénétrer d’un levain, lui rendre une nouvelle espérance, pour que prenne forme, et lève, le Règne de Dieu au milieu du monde. Alors l’Ascension trouvera son vrai sens. 

Amen.

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