Le grand voyage

Ils appelaient cela « le voyage d’outre-mer » : le pèlerinage à Jérusalem. C’était long, lointain et dangereux. Ils faisaient leur testament avant de partir parce qu’ils n’étaient pas du tout sûrs d’en revenir. Et quand ils en revenaient, ils avaient les yeux pleins de soleil. Les hommes et les femmes du Moyen Âge n’avaient pas peur d’entreprendre de telles aventures. Au contraire : ils en redemandaient…

Si je parle du pèlerinage de la Terre Sainte, c’est parce qu’au XIIe siècle, Eudes de Déols, seigneur de Châteauroux, rentré vivant de son grand voyage, a fait construire ici, au cœur du Berry, cette extraordinaire église ronde, image très réaliste du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Une église pour le pèlerinage, une église qui célèbre la mort et la résurrection du Christ.

Et si j’en parle, c’est aussi parce qu’aujourd’hui, Jésus, dans l’Évangile, nous dit de prendre notre croix, c’est-à-dire de tout quitter pour le suivre. Comme un pèlerin du Moyen Âge quitte ses parents, sa maison, ses paysages familiers pour passer la mer, à la grâce de Dieu.

Telle est l’aventure à laquelle Jésus nous appelle. Jésus n’est pas un maître de sagesse, il est un maître de folie. Viens, nous dit-il ; viens, quitte tout et suis-moi. Viens avec moi vivre l’aventure du dépassement qui te conduira, au-delà la mort, vers la vie. Car le Saint-Sépulcre n’est pas que le tombeau : il est aussi le lieu de la Résurrection. Les deux à la fois. Viens, dit Jésus, risque tout et tu recevras tout ; ouvre tes mains et je les remplirai ; donne ta vie et je te donnerai la mienne.

Cet appel de Jésus est radical. Il est exigeant. Il est abrupt. Il peut effrayer, tout comme le pèlerinage pouvait effrayer. Non pas que Jésus exige que nous souffrions ; la souffrance et la peine, en réalité, font déjà partie de notre vie ; mais il nous invite à risquer nos certitudes pour l’aventure de la foi ; à risquer notre confort pour l’aventure de l’amour ; à risquer nos acquis pour la précarité de l’espérance. À devenir des pèlerins, même si nous sommes des pèlerins immobiles, même sans le bâton et le sac à dos.

Car, oui, nous pouvons être pèlerins chez nous. Pèlerins sans quitter le Berry, ou Paris, ou la ville ou le village ou la maison depuis lesquels vous participez à cette messe. Par le seul fait que nous risquons de croire dans le Christ mort et ressuscité au sein d’un monde qui refuse absolument cette Bonne Nouvelle, nous sommes déjà des pèlerins.

Il se trouve que c’est aujourd’hui que sont canonisés deux jeunes saints, Carlo Acutis et Pier’ Giorgio Frassati. Deux jeunes Italiens morts l’un à quinze ans, l’autre à vingt-quatre. Deux jeunes de leur temps, passionnés d’infor¬matique ou d’alpinisme, joyeux, actifs, tous deux frappés par la maladie. Mais ils ne sont pas saints parce qu’ils sont morts jeunes : dans ce cas, ni vous ni moi n’aurions quelque chance de parvenir à la sainteté… Ils sont saints parce que tous les deux ont choisi, résolument, de suivre le Christ. Ils ont annoncé l’Évangile à leurs amis aussi bien qu’a des inconnus, ils ont dépensé leur énergie pour autrui et ils ont toujours gardé leur sourire.

Ils ont choisi de suivre le Christ là où ils étaient, au sein de leur famille, comme lycéen ou comme étudiant. Peut-être ont-ils eu peur, sans doute ont-ils eu mal, mais ils ont poursuivi la route qu’ils avaient choisie. Ils ont effectué leur grand voyage jusqu’au bout, jusqu’à recevoir la vie de Dieu.

Ainsi donc, nous chrétiens, qui que nous soyons, du pape à l’écolier, du chevalier du XIIe siècle au simple citoyen du XXIe, nous sommes tous appelés au grand voyage outre la mer. Un voyage dans lequel nous aventurons notre corps, notre intelligence, mais surtout notre cœur.

Que le Seigneur nous tienne la main dans notre voyage, qu’il nous fasse passer nous aussi par notre Saint-Sépulcre, par le don de nous-mêmes et vers la vie.

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