Pour vivre l’essentiel, une seule chose est nécessaire !
Quand on part en WE chez des amis avec un pitchoune, il faut bien sûr penser aux biberons, au bavoir et à la table haute, aux couches… mais en réalité, une seule chose est nécessaire Lc 10, 42 : le doudou. S’il y a une chose que les parents ne doivent pas oublier, c’est bien le doudou.
D’un autre ordre, j’ai le souvenir encore assez récent de ma grand-mère quand elle attendait la venue de ses petits-enfants. Elle passait la journée de la veille et la matinée à cuisiner un plat en cocotte, à faire une entrée, une tarte aux pommes et à mettre la table. Et quand approchait midi, elle guettait notre arrivée derrière le rideau pour courir nous embrasser. Quand on était enfin à la maison, tout était prêt, il n’y avait plus rien à faire dans la cuisine. Pour elle, comme pour presque toutes les grand-mères, pour elle une seule chose était alors nécessaire : être assise avec nous et nous inonder de questions, simplement parce que nos vies l’intéressaient.
Sans le savoir évidemment, ma grand-mère m’a aidé dans une compréhension de la scène de Marthe et Marie qu’on vient d’entendre. Parce qu’en vrai, d’un premier abord, Marie est quand même un peu agaçante : elle ne fait rien et elle reçoit les éloges. Et pendant ce temps-là, Marthe se démène comme une lionne pour tout préparer et Jésus lui dit qu’elle s’agite pour pas grand-chose. Faudrait-il donc choisir entre Marthe et Marie, entre le service et la contemplation ? Pour vivre l’essentiel, une seule chose est nécessaire nous dit Jésus ce matin.
Il semble de fait que Marthe soit accaparée par un drôle de service. Elle reçoit Jésus, chez elle, puis s’absente aussitôt pour préparer le repas. C’est presque mal élevé de ne pas faire la conversation à ses invités. Sous prétexte de s’occuper de Jésus, Marthe s’occupe de tout sauf de lui. Barricadée dans la cuisine, elle est en train de rater son passage. Une seule chose est nécessaire, celle de ne pas rater le passage du Christ justement. Le service de Marthe est en réalité une agitation qui la détourne de la rencontre de Celui qui passe chez elle. Et son agitation, c’est aussi toutes les nôtres, même les meilleures et les plus légitimes, comme celle de tellement travailler ou d’être tellement investi dans des associations qu’on en finit par ne plus voir ses enfants grandir. En fait, des rencontres, c’est comme ça, on a rate pas mal, évidemment sans le savoir.
Une seule chose est nécessaire. La meilleure part Lc 10, 42 choisie par Marie, c’est justement la rencontre de Jésus en écoutant sa Parole. Parce que c’est à faire trop, qu’on rate des rencontres. Et même souvent, c’est à voir trop de monde qu’on rate des rencontres. Il y a tant d’illusions dans nos vies qu’on peut être isolé au milieu d’une foule et être relié au monde entier dans la chapelle d’un monastère, dans une cellule de maison d’arrêt ou dans une chambre d’EHPAD. Parce que pour vivre une rencontre, la solitude et le silence sont nécessaires pour creuser un vide en nous, une sorte d’hospitalité intérieure, afin que Dieu et ceux qu’on croise puissent avoir une place à l’intérieur de nous. Pour vivre vraiment une rencontre, il importe ainsi d’avoir une place en nous pour accueillir l’autre qui est là, que ce soit Dieu comme avec Marthe et Marie ou que ce soit notre prochain Lc 10, 29 comme avec le Bon Samaritain dont l’Evangile a rapporté l’histoire dimanche dernier.
La meilleure part, rencontrer Dieu. Avec l’hospitalité intérieure, il est aussi nécessaire d’être droit devant lui, le plus possible en tout cas. Droit pas au sens irréprochable, bien dans les règles, bien comme il faut : qui peut l’être ? Jérôme, avec qui j’habite et qui a été ordonné prêtre de la Mission de France la semaine dernière, me faisait récemment remarquer que c’est précisément ce que nous chantons à la Pentecôte en nous adressant à l’Esprit Saint : « rends droit ce qui est faussé ». Pour rencontrer Dieu, il importe d’être droit devant lui. Droit, c’est-à-dire vrai.
Vrai, c’est-à-dire sans mensonge dans ce que nous lui présentons de nous-mêmes.
Vrai, jusqu’à dire humblement avec le psalmiste, tout en étant conscient de nos misères et de nos péchés : je reconnais devant toi l’être étonnant que je suis Ps 139, 14.
Vrai, c’est-à-dire confiants d’être accueilli par Dieu tels que nous sommes, quoique nous ayons fait. Et même, quoique nous fassions. Toute sa Parole, toute la Parole de Dieu que Marie écoute, toute sa Parole ne dit rien d’autre que cet Amour sans limite.
Et c’est bien connu, la vérité rend libre Jn 8, 32. Être vrai devant Dieu, c’est devenir libre. Libre d’être soi-même, aimés pour ce qu’on est. Un catéchumène que je commence à connaitre un peu l’exprimait ainsi en cette fin d’année à la paroisse où je suis, je le cite : « ma foi en Jésus qui me connait intimement et à qui je remets ma vie, transforme concrètement ma manière de voir le monde, de me percevoir moi-même et d’interagir avec les autres ».
Sachant ainsi qui on est, nous pouvons alors accueillir notre prochain sans fuite, sans autre défense que celle de savoir aimés sans conditions par « Celui qui nous aime depuis toujours ». Sachant ainsi qui on est, droits devant Dieu, nous pourrons alors entendre toutes les clameurs du monde et en nous engageant plein pot pour elles – sans agitation, nous passerons alors de l’anxiété à l’Espérance comme vont le vivre cette semaine les presque 20 000 pionniers, caravelles et compagnons des scouts et guides de France lors de leur Jamboree dans les Yvelines. Et nous marcherons ainsi avec tous les jeunes du monde entier qui se retrouveront à Rome à la fin du mois pour le Jubilé de l’Espérance.
Une seule chose est nécessaire, celle de vivre la rencontre avec Dieu en développant à la fois notre hospitalité intérieure et à la fois la vérité de notre vie devant lui. Cette rencontre nous rendra de plus en plus libres pour accueillir en nous-mêmes tous nos prochains, et même pour accueillir sereinement en nous-mêmes l’avenir du monde.
Une seule chose est nécessaire, celle de vivre la rencontre avec Dieu, comme maintenant dans cette Eucharistie. Il nous emmènera si loin2. Si loin dans le service et si loin dans l’émerveillement2. Au-delà des montagnes, au-delà du ciel bleu… jusqu’à la Liberté. Jusqu’à l’Amour.