Lorsque j’étais aumônier de prison, on me demandait souvent : « en quoi consiste ton travail ? » A quoi je répondais invariablement : « Je m’invite chez les gens, à boire le café ». Et ce n’était pas qu’une boutade. Les détenus, eux, n’aimeraient pas forcément cette explication. Oui, ils me conviaient dans leur cellule pour parler avec eux, mais à un détail près : ce n’est jamais eux qui m’ouvraient la porte, car eux, bien sûr, n’avaient pas la clef de leur cellule. Elle leur serait d’ailleurs fort peu utile : une cellule de prison ne s’ouvre pas de l’intérieur. C’est pourquoi beaucoup n’acceptaient pas de dire qu’ils étaient « chez eux », en prison. Le plus souvent, on a les clefs de chez soi. Pourtant, l’espace de quelques minutes, la conversation nouée entre quatre murs serrés, donnaient à la petite pièce aux fenêtre grillagée, un air d’humanité, d’hospitalité.

Je suppose que c’est bien Elisabeth qui ouvrit à Marie. Ou est-ce si simple ? Car Marie ouvre la conversation en parlant la première. On ignore ce qu’elle dit. Mais quel effet ! Car sitôt ses mots entendus, les langues se délient. Cela faisait longtemps qu’Elisabeth n’avait pas parlé, puisque, souvenez-vous, Zacharie son mari était sourd-muet, depuis qu’il avait douté du message de l’ange annonçant la naissance de son enfant. Enfin, Marie offre à sa cousine quelqu’un à qui parler. Et du profond de ses entrailles Elisabeth répond à la bénédiction reçue par une bénédiction donnée : « Tu es bénie ! » Marie est un ange pour sa cousine, messagère de la grâce qu’elle a elle-même reçue. Sa visitation est une autre Annonciation.
Comme est grande en effet la joie qui se partage, retenue si longtemps, faute de pouvoir se dire. Joie réveillée soudain, car au fond, l’exultation d’Elisabeth ne vient-elle pas aussi de cette assurance que malgré son grand âge, et le risque encouru par cette grossesse mystérieuse son enfant est bien vivant, et en bonne santé. Car il tressaille en son sein. Jean-Baptiste se lève au-dedans de sa mère, et cette visitation annonce déjà la résurrection. Et puisque l’Esprit Saint s’empare d’Elisabeth, cette visitation est aussi Pentecôte : Jésus, dès le sein de sa Mère répand son Esprit sur ceux qui l’accueillent. C’est peut-être lui, au fond, qui parle le premier…
Voilà donc ce qu’est l’hospitalité : une annonciation. Une salutation qui délie les langues, quelques mots qui libèrent chez l’autre des grâces enfouies et qui viennent réveiller en eux, une joie, une vie, un avant-goût de résurrection. Et même si c’est une peine, une douleur que l’on partage, on sait combien cela peut soulager. On sous-estime trop le miracle de ces visitations du quotidien. On rêve d’actions grandioses pour sauver le monde, on attend d’être de parfaits héros pour agir – et l’on peut attendre longtemps. Mais nous venons d’entendre : « Tu n’as voulu ni sacrifice, ni offrande, mais tu m’as formé un corps… alors j’ai dit : me voici. » Il est à la portée d’à peu près tout le monde d’aller prendre un café chez son voisin, de parler avec celui qui est seul ou d’au moins saluer, celui que tous ignorent.

Marie ne devait pas être chargée en chemin. On ne mentionne ni fleur ni chocolat qu’elle aurait apporté à sa cousine, elle arrive les mains vide, mais toute remplie du fils qu’elle porte, presque incognito à trois mois de grossesse. Nous aussi nous pouvons porter aux autres ce même don de Jésus que nous portons en nous. Ne sous-estimons pas les résurrections, les Pentecôte que nous pourrions initier par nos visitations.
Un jour que je visitais un détenu, machinalement, un surveillant pressé est venu refermer la porte de la cellule où nous nous trouvions. Tranquille, nous avons poursuivi la conversation, sirotant un thé préparé sur un modeste réchaud. Et alors que finalement, le surveillant zélé s’aperçut qu’il avait enfermé l’aumônier et qu’il me rouvrit, le détenu aperçu la clef gardée serrée dans ma poche. « mais tu avais la clef ? » il avait oublié, le temps béni d’un thé, que son côté de la porte n’avait pas de serrure.

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