La Croix Glorieuse, retourner la mort 

Frères et sœurs,
En ce jour, nous fêtons donc la Croix glorieuse… Fêter la Croix pour un chrétien, quoi de plus normal ? Et pourtant, n’y a-t-il pas une part de nous qui dit « non ! » ? C’est peut-être dans le décalage entre l’affirmation de la croix glorieuse et le refus en nous du mal et de la souffrance que se situe la clef de compréhension du message chrétien. 


Arrêtons-nous sur la première lecture tirée du livre des Nombres. Pour comprendre cet étrange récit des serpents à la morsure brûlante, il faut remonter un peu dans le temps : le Peuple hébreu, après avoir été tiré par Dieu de l’esclavage en Égypte, a traversé la mer Rouge, et il chemine dans le désert. Ce désert n’est pas seulement un lieu géographique ou historique ; c’est aussi l’expérience de la liberté nouvelle dans laquelle Dieu place son Peuple, cette Liberté qu’Il ouvre en nous et qui est un grand danger pour l’homme : le danger de devenir plus que ce que nous croyons être.
C’est dans cette Liberté que le Peuple doit apprendre à vivre ; c’est cette Liberté qui lui fait perdre ses repères habituels et qui le fait récriminer : « Pourquoi nous avoir fait monter d’Égypte ? – interrogent-ils – Était-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n’y a ni pain ni eau ? » Ils découvrent que la Liberté qu’ils ont reçue de Dieu ne correspond pas à leur cahier des charges : elle est plus grande, plus redoutable, elle coûte plus cher que ce qu’ils pensaient ; et ils en viennent à s’imaginer qu’elle puisse être l’instrument d’un Dieu pervers qui voudrait les détruire à petit feu en leur donnant ce cadeau empoisonné. 


Ce moment, c’est le basculement de tout, comme dans le jardin d’Éden, quand Adam et Ève commencent à croire que Dieu leur a menti pour les tenir en esclavage. Et c’est là que surgit la mort : elle n’est pas un châtiment, elle est la défiance qui conduit à la mort : je commence à regarder de travers Celui qui m’a donné la vie, qui m’aime, qui désire me faire devenir meilleur, et j’en meurs ! Ce regard de travers fait tout s’écrouler : la vie qui n’est qu’un miracle d’équilibre en perpétuelle évolution, ne peut pas se construire sur cette pente glissante, et tout est mis en danger : la bonté des origines, la joie d’être libre, l’espérance de la Terre promise, la confiance en Celui qui nous a promis son Amour.


C’est ce basculement-là qui est au cœur du récit qui parle de serpents envoyés par Dieu. C’est étonnant quand-même ! Dieu a fait sortir ses enfants de la mort qu’est l’esclavage, et quand ils paniquent parce qu’ils sont allés plus loin que jamais, qu’ils n’ont plus pied, et qu’ils se mettent à penser que Dieu aurait eu le projet de les faire mourir, Dieu leur envoie des serpents pour les faire mourir.

Notez bien l’ordre dans le récit : c’est quand ils commencent à voir Dieu comme un traître, un assassin, que les serpents les attaquent et qu’ils meurent. En fait c’est parce qu’ils voient Dieu comme un ennemi potentiel qu’ils attribuent la morsure des serpents à la volonté de Dieu. 

« Mais – me direz-vous – c’est la Parole de Dieu qui le dit, c’est marqué dans la Bible ! C’est bien Dieu qui a envoyé les serpents ! » Attention à ne pas faire du texte biblique un texte dicté par Dieu. Croire que Dieu a inspiré ceux qui ont écrit le livre des Nombres, c’est croire que Dieu a parlé aux hommes à travers des paroles humaines, un récit humain, sans passer par-dessus les manières de comprendre qui sont celles des hommes, sans faire fi de leurs cultures, de la complexité de leurs ressentis, des bourbiers intérieurs dans lesquels ils cherchent à aimer, à croire, à espérer, à désirer la vérité. 


Ce qui est formidable dans ce récit, c’est que le Dieu de vie qui ne veut pas la mort de ses enfants, ne s’est pas retiré de la relation qu’est le récit dans lequel il a voulu librement se faire connaître. Si l’homme doute de Lui, Dieu prend le doute sur lui ; si l’homme s’imagine que la morsure des serpents vient de Dieu, Dieu en assume la responsabilité dans le récit ! Et sa manière d’assumer c’est de descendre là où l’homme, en proie à ses cauchemars, le voit : dans ce mal qu’il déteste, avec lequel il n’a jamais aucune sorte de complicité, et de se servir de ce mal ! Le Peuple voit les serpents comme une punition du doute, Dieu ne violente pas l’intelligence humaine, ses tâtonnements maladroits ou erronés, mais il les reprend, de l’intérieur, et il dit à Moïse : « Fais toi un serpent brûlant et dresse-le au sommet d’un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ! ». C’est bien cette image d’un mal terrible dressé sur un mât qu’il faut avoir en tête pour comprendre le mystère de la Croix et la parole de l’Apôtre Jean : « ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé ».


C’est bien ainsi que Dieu fait : plutôt que de corriger extérieurement, d’en haut et de nous laisser à notre infériorité, il vient, il descend, il assume ces blessures que nous-nous infligeons à cause de nos peurs, de nos paniques, et il les retourne : c’est cela la Croix glorieuse, le retournement aimant de ce qui nous a fait tant de mal, leur transformation en raison d’espérer. 

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