Vous avez peut-être déjà lu par plaisir, par curiosité —ou sans doute à l’école par devoir— une célèbre nouvelle écrite il y a près de 100 ans, par un auteur praguois. C’est l’histoire d’un homme, Gregor Samsa, qui se réveille un matin et découvre qu’il est devenu un insecte monstrueux ! Alors qu’il tente de s’adapter à son nouveau corps, il se rend compte qu’il est en retard pour son travail. Sa mère, puis son père et sa sœur, viennent frapper à la porte de sa chambre, pour le faire sortir de son lit… Il réussit à ramper jusqu’à la porte de sa chambre, à ouvrir et à leur révéler sa nouvelle apparence. Sa mère s’effondre et son entourage s’enfuit…

Ce livre, c’est… la métamorphose de Kafka. Un court récit —très symbolique— de la chute existentielle et sociale d’un être ordinaire, qui découvre l’absurde, l’absence de signification dans sa vie et le changement du regard des autres sur sa propre personne…

D’une certaine manière, la métamorphose de Kafka est la dynamique strictement inverse du récit de la transfiguration sur la montagne que nous venons d’entendre. La transfiguration, c’est lorsque nos regards donnent du sens, prennent de la hauteur, voient loin, quittent l’absurde, la tristesse, et regardent l’autre au-delà des apparences ! Si je me permets la comparaison, c’est parce que dans l’évangile de ce jour, le terme grec pour exprimer ce que nous appelons la transfiguration est bien metamorphè, métamorphose ! Il s’agit bien de la métamorphose de Jésus sur la montagne. Ce récit, par contre, n’a rien de kafkaïen ! La métamorphose de Jésus n’est pas une fatalité, la descente d’un être dans l’infra-humain, mais bien la révélation de Jésus tel qu’il est, le dévoilement de sa destinée. Sur la montagne, c’est le regard des disciples qui change !

Pierre, Jacques et Jean, à l’écart, ne font pas la rencontre d’un « nouveau Jésus » fût-il resplendissant, tout-puissant, surhumain. Tout au contraire, ils posent sur lui, un regard neuf et lui donnent un nouveau visage…

Ces disciples posent véritablement un regard autre sur Jésus en fonction d’un seul aspect qui conditionne toute leur vision : la résurrection que —dans le récit de l’Évangile de Matthieu— Jésus vient tout juste d’annoncer. Après cette annonce publique, les disciples ne peuvent dès lors que transformer leur regard en fonction de cette clé décisive, celle de la résurrection, qui nous rappelle que dans nos vies, l’échec et le désespoir peuvent toujours être traversés, surmontés…

Dès lors, ce que nous avons peut-être à réapprendre, c’est à découvrir la puissance de notre regard, la force d’une lecture confiante de la vie. Bien sûr, il ne s’agit pas de se mentir à soi-même ou de voir naïvement tout en rose. Cependant, le regard que nous posons sur les personnes et sur nos histoires dit parfois plus que les mots. Notre regard constitue notre monde et la réalité qui nous entoure. Un regard aimant rend une personne aimée. Finalement, un visage n’a de sens et n’existe pleinement que pour les yeux et par les yeux du cœur qui le regardent. Bien sûr, il y a les regards de peur, de suspicion, qui dévisagent, qui défigurent. Mais il y a aussi tous ces regards qui transfigurent le monde, qui envisagent la vie autrement, avec lucidité, hauteur, intelligence et bienveillance.

Dès lors, le récit de la transfiguration nous invite peut-être à ne pas voir Jésus seulement comme un homme éclairé,  mais peut-être à voir Dieu en lui, source de toute lumière ?  Le voir non pas comme un prophète de Dieu, comme Elie,  mais comme le Dieu des prophètes ;  non pas comme un homme de la Loi comme Moïse,  mais la loi de l’homme…

Et si Dieu a pour nous de multiples visages, c’est parce que nous avons de multiples manières de le regarder. Mais pour ne voir que Lui, comme les disciples, il faut se lancer sur un chemin inconnu. Il s’agit de partir, comme Abraham, quitter le pays de nos certitudes, nos convictions, laisser derrière nous nos représentations, nos cocons qui nous rassurent, quitter la famille habituelle de nos visages de Dieu, quitter —peut-être pour certains— cette religion qui sécurise…

Quitter ce qui nous sécurise,  afin de rencontrer parmi les multiples visages de Dieu,  celui qui donne réellement sens à nos vies,  qui est source de bénédiction,  qui ouvre toujours un chemin possible, une métamorphose, et dans lequel nous pouvons mettre notre confiance, tout simplement. Quant à nous, des moments de vraies métamorphoses, de transfiguration, nous pouvons aussi en vivre, quel que soit notre âge ou notre histoire. Là où nous parvenons à être —ne fût-ce qu’un instant— en harmonie avec nous-mêmes, là où nous nous sentons compris, acceptés, aimés peut-être, pour ce que nous sommes et pas pour ce que nous avons ou faisons. Et bien plus, chaque fois que nous poserons sur les autres un regard lucide, qui ne juge pas, c’est peut-être la transfiguration de notre monde qui est, elle aussi, en marche… Oui, un regard lucide —le mot le dit bien— est une lecture de la vie pleine de lumière, un regard d’éternité, qui ne plonge pas les autres dans l’infra-humain, mais y discerne la lumière divine en chaque être!

Alors, frères et sœurs, permettez-moi de vous inviter à être contagieux —oui, il y a de bonnes contagions !— de ces regards bienveillants et lucides que vous poserez sur vous-mêmes, et sur les autres ! Il s’agit de regarder le monde, avec les yeux de Dieu.
Chaque deuxième dimanche Carême, un récit de transfiguration nous est proposé. Peut-être parce que le Carême n’est pas un temps de préparation, de quarantaine, pour mériter Pâques ! Mais un temps de métamorphose, de vraie conversion, de transfiguration. Il s’agit de découvrir des moments de résurrection dans la banalité de notre quotidien. Même là où une situation semble kafkaïenne, un sens, une ouverture est toujours possible pour celui qui choisit la lucidité et la confiance.  Alors, si nous parvenons à transformer notre regard, de la grisaille de notre quotidien pourra surgir un horizon nouveau, aux couleurs de l’éternité.

Amen.

Références bibliques : Gn 12, 1-4a ; Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22 ; 2 Tm 1, 8b-10 ; Mt 17, 1-9

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