Chacun de nous fait l’expérience, au moins à certains moments, que la vie s’écroule. On perd ses illusions. La mort d’un proche. Une catastrophe, comme celle que nous commémorons ici et qui frappa durement les contemporains, non seulement dans la région ou le pays, mais jusqu’en Italie, par exemple. Et puis, il y a la menace de ma propre mort, qui déchire les sécurités de mon univers bien établi. Je ne peux m’empêcher de penser que ce monde n’est pas juste, qu’il va y avoir encore des attentats, qu’il va y avoir la guerre, que le « système » va casser, ou qu’il faudrait le casser…

Les humains ne cessent pas de se fabriquer des menaces apocalyptiques. Imaginaires au cinéma, mais hélas aussi bien réelles, dans les folies sanglantes et absurdes, les fanatismes violents et simplistes. Nous pouvons avoir en Occident le sentiment d’appartenir à un monde plein de questions angoissantes, mais qui pense même que ça n’a sans doute pas de sens de se les poser, et qui constate que si la technologie et la technoscience progressent, les civilisations, elles, se dissolvent et se désintègrent. Je peux penser et dire que si Dieu existait, il ne serait pas permis que les choses se passent ainsi. Je peux dire qu’il vaut mieux ne plus croire à rien. Peut-être même qu’il n’y a rien, qu’il vaut mieux s’en foutre… et jouer avec tout, y compris avec ma propre vie…

Dans cette célébration qui nous réunit, et en ce lieu particulièrement, nous déposons toutes ces perspectives et ces questionnements aux pieds du Seigneur. Et lui répond. Mais il faut accepter que ce n’est pas une réponse qui nous permettrait simplement de tirer les choses au clair, comme on peut résoudre un calcul avec une calculatrice enfin vraiment performante.

Jésus commence par dire, nous venons de l’entendre : «Sois sans crainte, petit troupeau … »

De dimanche en dimanche dans la liturgie, nous suivons Jésus sur la route. La route qui est la sienne… et aussi notre route. Les deux se croisent tout le temps. Nous l’observons, nous l’écoutons, nous mettons nos pas dans les siens, nous tentons d’entrer dans son style, dans sa manière.

Il ne nous donne pas une vision alternative. Il ne nous dit pas de fuir, d’aller nous réfugier dans un univers de substitution. Il nous donne une attitude de foi : sans crainte traverser l’illusion – et la perte des illusions – debout ; traverser la frayeur à sa suite en enfants du Père, non pas en s’armant de biens et de sécurités, ni en se barricadant dans l’indifférence, ni en tombant dans le sommeil de l’hébétude ou du désespoir, mais en demeurant dans la veille : « restez en tenue de service, vos lampes allumées. » Veiller, la lampe allumée : un acte de foi qui exorcise les fantômes et les fantasmes !

Car « votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume » dit Jésus. Frères et sœurs, est-ce que j’exagère si je dis qu’il y a là quelque chose de subversif par rapport aux évidences, à ce que nous croyons communément et que nous n’interrogeons pas : l’idée que chacun fait sa vie, se construit lui-même, que chacun est son propre centre. Dans ce cercle – qui peut d’ailleurs être vertigineux voire infernal pour d’aucuns, voici précisément une brèche : il y a avant tout quelque chose qui nous est donné, un fondement qui est un don et qui introduit une disproportion entre ce que je peux raisonnablement espérer de la vie et la Promesse qui y est offerte et qui me permet d’être libre de toute attache.

Quelle est la place que nous accordons à un tel trésor ? Car « là où est notre trésor, là aussi est notre cœur. » Quelle est notre hospitalité pour ce qui est de l’ordre de la Promesse en nous-mêmes et en chaque être humain et qui ne pourra se révéler que parce que nous y croyons ? Quelle est notre attention pour ce qui est de l’ordre de la Promesse dans les circonstances que traverse notre société ? Quel accueil réservons-nous à ce qui relève, dans tous les domaines, du crédit accordé à la vie, parfois si fragile et si malmenée ? Au-delà de notre scepticisme réaliste par rapport à la construction d’un futur idéal, quelle est notre « veille » pour accueillir l’avenir qui, comme le mot le dit, est un don qui « advient » ?

C’est là une interrogation à toute notre société. Non pas une critique du haut de je ne sais quelle certitude. Une interrogation, qui fait l’effet d’une bonne douche rafraîchissante quand nous transpirons.

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