Par Julia Itel – Publié le 27/04/2023

Saint Jérôme est un homme lettré et érudit à qui l’on doit la Vulgate, c'est-à-dire la traduction latine de la Bible. Fasciné par l’idéal ascétique qu’il a poursuivi toute sa vie, il est possible de comprendre l’œuvre de Jérôme de Stridon à travers ses pérégrinations entre Orient et Occident. 

La vie de saint Jérôme : entre Orient et Occident

Enfance et formation littéraire

Saint Jérôme naît à Stridon, une petite ville de Dalmatie (dans les Balkans), en 347. Il grandit dans une famille chrétienne aisée qui veille à donner au jeune homme une bonne éducation. Il est ainsi envoyé à 12 ans à Rome pour se former auprès du grammairien latin Donat. Là, il étudie les grands auteurs classiques comme Cicéron, qui va exercer une grande influence dans son œuvre future.


Jérôme, l’ascète

Découvrez en image qui est saint Jérôme, le traducteur de la Bible

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Après son baptême, Jérôme part à Trèves dans le nord de la Gaule, accompagné de son ami Bonosus. Il est âgé de 20 ans et pense sans doute, en rejoignant la cité impériale, faire carrière dans l’administration de l’Empire. Toutefois, les deux jeunes hommes se laissent séduire par l’ascèse chrétienne et, plus précisément pour Jérôme, par la littérature chrétienne. Il aurait ainsi traduit deux ouvrages d’Hilaire de Poitiers et pris connaissance de La vie d’Antoine écrit par Athanase pour transmettre les enseignements de l’ermite. 

Appelé par la vie monastique, Jérôme rejoint à Aquilée un petit groupe d’ascètes puis, souhaitant trouver les racines de l’érémitisme, il part pour l’Orient. Sur sa route, il s’arrête quelques années à Antioche, chez Evagre le Pontique qui lui enseigne l’exégèse. Puis, il s’essaie à la vie ascétique dans le désert de Chalcis, en Syrie, pendant trois ans. Mais Jérôme est finalement plus attiré par l’idéal ascétique que par la vie difficile qui en découle et qui affecte sa santé fragile. Toutefois, son passage en Syrie lui permet de délaisser un temps les auteurs classiques pour les sources chrétiennes qu’il considère comme une vraie « nourriture pour l’âme ». Il traduit également en latin La vie d’Antoine. Mais, surtout, Jérôme profite de son temps dans le désert pour apprendre l’hébreu auprès d’un maître juif. Cela lui permet de revenir aux sources des saintes Écritures et ainsi de mieux comprendre la parole de Dieu

Chalcis n’est pas loin d’Antioche. Il y revient pour se faire consacrer prêtre par l’évêque Paulin autour de 378 puis, voyageur infatigable, il quitte la Syrie pour Constantinople. Il continue à étudier les Écritures sous le regard de Grégoire de Nazianze qu’il nomme praeceptor meus, « mon instructeur ». Jérôme a à cœur de faire connaître aux Latins les œuvres des Pères grecs. Il traduit et adapte Les canons chronologiques d’Eusèbe de Césarée et les homélies d’Origène. 


De Rome à Bethléem : les années de maturité

Jérôme part ensuite en 382 pour Rome. Le jeune prêtre, érudit et plein d’éloquence, ne tarde pas à se faire remarquer. D’abord par le pape Damase, dont il devient le secrétaire, puis par de riches matrones attirées par l’ascèse chrétienne et qui le soutiennent socialement et financièrement, telles les veuves Marcella et Paula. Jérôme défend, en effet, la possibilité pour une femme d’être consacrée et encourage ainsi Estochium, la fille de Paula, à rester vierge. Ses amitiés féminines et ses critiques virulentes à l’égard du clergé romain, qu’il considère trop avide de richesses, lui valent de nombreuses inimitiés. À la mort du pape Damase, Jérôme est obligé de quitter Rome en 385.

Il se met, encore une fois, en route pour l’Orient mais, cette fois, accompagné de quelques disciples dont les patriciennes romaines. Grâce à l’argent de Paula, il crée à Bethléem trois monastères : deux pour les hommes et un pour les femmes (que Paula dirige). Mais la construction prend plusieurs années et, en attendant de pouvoir s’y installer, ils entament un pèlerinage en Égypte afin de rencontrer certains ascètes célèbres, comme Didyme l’aveugle à Alexandrie, et visiter les lieux saints en Palestine. 


La Vulgate : l’œuvre majeure de saint Jérôme

La traduction et l’exégèse

Jérôme de Stridon est un homme de lettres et un grand érudit qui a toujours oscillé entre sa formation littéraire classique et sa fascination pour les textes chrétiens, ce qui n’a pas toujours été facile à concilier. En effet, pour les lecteurs accoutumés au style des grammairiens, les écrits chrétiens semblent sans saveur, trop pauvres stylistiquement et donc pas assez nobles pour l’élite romaine. Pour les auteurs chrétiens du IVe siècle, cela ne peut continuer : le canon des Écritures doit gagner en qualité. Et c'est ce que s’emploie à faire Jérôme. 

La Bible est-elle une histoire de traduction ? Réponse ici

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Révision de la Vetus latina

Lors de son passage à Rome, au début des années 380, Damase lui demande de réviser les différentes versions latines de la Bible, nommées Vetus latina (« la vieille [traduction] latine »), pour en améliorer le style et, surtout, l’homogénéiser. En effet, le premier concile de Constantinople (381) vient juste de se produire et il a permis à l’Église de s’unir et de s’affirmer contre l’arianisme. En révisant le canon biblique en un seul socle dogmatique, donc en une seule version, les tentatives de dérives d’interprétation (et donc d’hérésies) sont ainsi réduites. Jérôme s’attelle donc à la tâche et révise les quatre évangiles à partir de la Bible grecque : la Septante. Il révise également une traduction latine des Psaumes et traduit de nombreux théologiens grecs en latin, comme le Traité sur le Saint-Esprit de Didyme l’aveugle.


La Vulgate

Lorsqu’il arrive à Bethléem, au début des années 390, Jérôme entame son grand projet : proposer une traduction complète de la Bible en latin. Et plus sa méthode s’affine, plus le traducteur s’éloigne des sources grecques pour revenir à celles juives. Il considère l’exercice et sa dévotion aux Écritures comme une pratique ascétique en soi. L’effort est constant et il compare l’étude des textes hébreux, pour celui qui a eu une éducation littéraire avancée, à une abstinence volontaire. Toutefois, il trouve ces derniers plus authentiques et moins corrompus et donc plus à même de livrer, au plus juste, la parole de Dieu. 

L’abandon de la Septante au profit de la version hébraïque de la Bible lui vaut de nombreuses critiques, comme Augustin qui lui rappelle que la Septante est source d’autorité et le prévient des possibles divisions que cela pourrait provoquer au sein de l’Église. Mais à ces attaques, Jérôme répond par la notion d’Hebraica ueritas, soit de « vérité juive » : en remontant à l’origine du texte, il peut ainsi accéder à la « vérité » (ce qui, historiquement, est discutable).

En plus des quatre évangiles déjà traduits en latin à Rome, Jérôme traduit ainsi les livres de l’Ancien Testament et une nouvelle version du Psautier. Cette compilation des textes bibliques, traduits en latin, devient la Vulgate, c'est-à-dire la version latine de la Bible. Du latin vulgata, cette version est celle qui a été « rendue accessible ». Elle est officiellement adoptée lors du concile de Trente, en 1546. 

Partez à la découverte des sources de la Bible

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Saint Jérôme, Père et Docteur de l’Église

L’œuvre littéraire de Jérôme est vaste. Elle comprend de nombreuses autres traductions ainsi qu’une riche correspondance à partir de laquelle les historiens peuvent retracer les événements biographiques de Jérôme de Stridon, ainsi que ses polémiques et controverses qui sont considérables. 

Jérôme n’est jamais devenu évêque. Néanmoins, son apport à l’édification de l’Église est indéniable ; c'est pourquoi il est l'un des Pères de l'Église. Décédé le 30 septembre 419 ou 420 et inhumé près de la grotte de la Nativité, il est ainsi fêté chaque 30 septembre. À la fin du XIIIe siècle, le pape Boniface VIII le proclame Docteur de l’Église, en même temps qu’Augustin, Ambroise et Grégoire. 

Exégète, philologue, saint Jérôme est également le patron des traducteurs, des bibliothécaires, des docteurs, des archivistes, des documentalistes… Bref, de tous ceux qui entretiennent un rapport privilégié avec le livre et son étude.


Comment saint Jérôme est-il représenté dans l'art ?

On reconnaît saint Jérôme à plusieurs attributs. Jérôme de Stridon est, dans l'art, vêtu d'une tenue rouge qui renvoie à sa posture de cardinal. De son temps, cette fonction n'existe pourtant pas ; la représentation est donc anachronique. Mais elle renvoie à sa fonction de secrétaire du pape Damase Ier, au moment où celui-ci commence la révision de la Bible latine. Il est également régulièrement représenté tel un anachorète vivant dans une grotte, étudiant assiduiment la Bible. Rappelons que Jérôme a été, dès sa jeunesse, fasciné par la vie ascétique. De plus, Jérôme l'intellectuel considère réellement son travail comme une pratique ascétique. Il n'est donc pas étonnant que l'on retrouve cette association dans les tableaux le figurant. 

Enfin, on remarque toujours à ses côtés la présence d'un crâne (symbole de la vanité) ainsi que celle d'un lion apprivoisé, dont l'attachement à Jérôme remonte à la Légende dorée écrite par Jacques de Voragine. En effet, selon la légende, un lion dans le désert blessé à la patte par une épine aurait été guéri par saint Jérôme au monastère de Bethléem. L'animal n'aurait ainsi plus quitté son guérisseur.