Méditation à deux voix : Pasteure Agnes von Kirchbach de l’Église réformée de France à Saint-Cloud et Père Michel Anglarès, responsable de la Maison d’Église N.-D. de Pentecôte.

Michel Anglarès
Agnes, comment définirais-tu un « témoin » dans l’esprit de cet évangile ?

Agnes von Kirchbach
Ce qui étonne dans cet Evangile, c’est l’attitude du Crucifié. Il connaît bien ses disciples. Il sait qu’ils ne sont pas très fiables. Ne l’ont-ils pas lâché, renié, abandonné ? Et pourtant, il s’approche d’eux, non pour accuser ou juger, mais pour offrir encore sa confiance. Le témoin du Christ est donc un homme, une femme, habité(-e) par une confiance qui lui vient du Christ. On pourrait dire aussi que le témoin est quelqu’un de branché. Toute sa vie est reliée au Crucifié, Ressuscité. De même que des milliers de témoins lumineux ici dans les bureaux de La Défense indiquent, jour et nuit, l’alimentation des appareils, le témoin du Ressuscité est comme un signal lumineux : avec sa vie entière, il atteste quelle-est la source de son engagement. La présence inattendue du Crucifié au milieu de ses disciples les bouleverse et les transforme. Ils ne seront plus jamais les mêmes. Ils se déplaceront. Leur identité nationale sera relativisée. Ils franchiront les frontières culturelles, religieuses et n’auront pas peur d’être considérés comme des étrangers. Le témoin du Christ ne se satisfait pas des séparations ni des dominations. Le témoin est aussi quelqu’un qui raconte une histoire : la sienne et celle de Dieu. Jésus ne vient pas pour dicter un discours ni une dogmatique, une nouvelle Loi ou un contenu à apprendre par cœur. Il veut que ses disciples trouvent eux-mêmes le langage par lequel ils rendront compte de ce qu’ils ont vécu. Voilà ce que je dirais du témoin. Que pourrait-on dire du contenu de son témoignage ?

Michel Anglarès
Comme tu viens de le dire, Agnes, le témoin de l’Evangile ne rend pas compte d’une doctrine, ni d’une loi morale ni, ajouterais-je, d’une discipline liturgique. Il rend compte avant tout d’une personne, Jésus-Christ, dont la rencontre a profondément bouleversé sa vie. Il s’agit d’une expérience d’amour qui transforme complètement, et la manière de voir Dieu, et la manière de nous regarder les uns les autres. Elle se fonde sur la mort et la résurrection de Jésus : en Jésus, Dieu Lui-même connaît la mort, son amour pour nous allant jusque-là. En même temps, cet amour qui unit le Père, le Fils et l’Esprit Saint et qui s’ouvre à toute l’humanité, se révèle être la seule force de résurrection, déjà pour la vie présente et aussi pour la vie à venir. Les premiers disciples en ont témoigné par le changement radical de leur manière de vivre, jusqu’au martyre pour la plupart. Pour nous qui ne voyons pas le Christ avec les yeux du corps, nous le percevons avec ceux du cœur et de l’esprit en nous appuyant à la fois sur ce qu’en ont dit les premiers témoins, et sur les médiations annoncées par Jésus-Christ lui-même, à savoir :  « Lorsque deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » : importance de la communauté chrétienne comme lieu de la présence réelle du Christ au milieu des hommes.  « Le verbe –ou la Parole- s’est fait chair » comme le rapporte Saint-Jean. Nous pouvons connaître Jésus-Christ par le Premier Testament qui prépare sa venue et par le Second qui en atteste la réalisation. Par la médiation de la Bible, Jésus-Christ se rend réellement présent à nous à travers le temps et l’espace.  « Prenez et mangez, ceci est mon corps, prenez et buvez ceci est mon sang », ce qui veut dire « c’est moi qui me donne à vous ». Par les différents signes sacramentels et très particulièrement par l’eucharistie ou Sainte Cène, Jésus-Christ mort et Ressuscité se rend réellement présent à nous. Et aussi, et j’ose dire surtout, Il ne cesse de se rendre réellement présent à tous par la médiation de tous nos frères en humanité, à commencer par les plus exclus, « J’avais faim et vous m’avez donné à manger, j’étais malade et vous m’avez visité, j’étais un étranger et vous m’avez recueilli, j’étais en prison et vous êtes venus à moi… » Oui, la rencontre de Jésus-Christ bouleverse bien des choses dans notre vie, comme ce fut le cas de ses disciples lorsqu’ils rencontrèrent le Ressuscité. De ton côté, comment en rends-tu compte, Agnes ?

Agnes von Kirchbach
Selon le récit de l’Évangile, les disciples ont été profondément secoués par l’irruption du Vivant au milieu d’eux. Ils étaient en train de s’installer dans la morosité, la peur, le non-sens. Ils ont du mal à reconnaître l’identité du mystérieux visiteur. Ils le prennent pour un fantôme. Pour eux, les Écritures sont devenues lettres mortes. Rien ne les prédispose à comprendre ce qui se passe. Ils sont troublés. Ce que j’aime dans le tableau que l’évangéliste nous propose, c’est la manière qu’a le Christ de sortir ses amis de leur paralysie, de leur mort spirituelle. D’abord il leur offre la paix, comme une bouée à saisir ou une passerelle qu’il déroule en leur direction comme un premier secours apporté à leurs cœurs blessés. Ensuite, il leur demande quelque chose à manger. Par là, Jésus leur signifie son désir de reprendre avec eux le chemin de la vie quotidienne, le chemin de la vie communautaire, une vie qu’il présidera, lui le Crucifié, en qui l’agir de Dieu se manifeste. De là une nouvelle question se pose pour nous : que veut dire « ressuscité » ?

Michel Anglarès
Le verbe « ressusciter » signifie « se tenir debout », position du vivant par excellence, par opposition à la mort où l’on est couché. Un petit enfant ne peut grandir et se développer sans l’attention des personnes qui l’entourent et qui lui apprennent peu à peu à se « tenir debout » au sens propre comme au sens figuré, et donc à vivre. Nos attitudes envers autrui peuvent l’aider à se redresser, à aller de l’avant, ou au contraire l’abaisser, l’humilier, le faire ramper plus bas que terre, voire le tuer. Dans le premier cas, on l’aide à exister davantage et nous avec. Dans le second, on le fait plus ou moins mourir… et nous avec ! Plus nous mettons d’amour dans notre regard et dans nos attitudes, plus nous développons la vie en autrui et en nous-mêmes. Autrement dit, ressusciter et aimer reviennent au même. Ce lien entre résurrection et amour que l’expérience nous fait pressentir, éclate avec évidence dans la vie et la mission de Jésus-Christ. Il vit lui-même ce passage quotidien de la mort à la vie par l’amour qu’il partage avec son Père et l’Esprit Saint, et qui le porte vers nous dans un même élan, jusqu’à subir tentations, contradictions et épreuves. En nous recommandant de « nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés », non seulement il nous apprend ce que veut dire le mot « aimer » dans la vie de tous les jours, mais il nous en révèle le sens profond, celui d’anticiper dans la vie quotidienne, celle de la vie du monde à venir où il se trouve maintenant et où il nous prépare une place : « où je suis vous serez vous aussi » (Jean 1 : 3). À condition pour nous de mettre nos pas dans ceux du Christ et d’accepter d’être aidés par lui. Ici interviennent les appels à la conversion, au don de soi et au pardon. Qu’en penses-tu Agnes ?

Agnes von Kirchbach
Impossible d’annoncer au monde la conversion et le pardon en Christ, si nous n’en vivons pas nous-mêmes. C’est une question de transparence. Elle se pose à tous les niveaux de la vie, pour la gestion des grandes entreprises, les décisions politiques ou la vie spirituelle. La présence du Crucifié fait apparaître nos trahisons et nos absences. A son contact, notre qualité de témoin de la Première Alliance se révèle comme totalement insuffisante. Nous ne correspondons pas aux exigences fondamentales : un attachement de gratitude envers Celui qui libère, le respect et la promotion du droit, de la justice, le soutien de ceux qui en ont besoin. C’est dans cette carence de responsabilité que le Crucifié nous interpelle. Saurons-nous l’entendre ? Saurons-nous changer ? La mission que le Christ nous confie, c’est d’être crédibles en son nom : parler du pardon que nous avons reçu nous-mêmes et du changement de vie qui s’opère chaque fois que nous acceptons de sortir de nos suffisances, qu’elles soient moroses ou orgueilleuses. En annonçant le pardon ainsi, nous éviterons de nous imposer aux personnes à qui nous parlons. Notre histoire personnelle et ecclésiale avec le Crucifié Vivant pourra alors être reçue comme une figure d’espérance. J’aimerais te poser une dernière question. Parfois on oppose l’envoi en mission à la recherche de l’unité des chrétiens comme si l’un pouvait aller sans l’autre. Comment comprends-tu le lien entre mission et unité ?

Michel Anglarès
L’unité, en termes chrétiens, n’est pas l’uniformité. Comme le dit le Christ, « il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père ». L’Église catholique elle-même, avec son centralisme romain, accepte en son sein une grande variété de rites, de théologies, de spiritualités, de recherches exégétiques, d’ordres religieux, et aussi un clergé marié dans sa partie orientale, ou dans l’accueil de pasteurs anglicans se tournant vers le catholicisme et devenant prêtres tout en restant mariés. Plus que d’unité je préfère parler, dans la ligne de Vatican II, de « communion ». Si, dans la diversité de nos familles religieuses et dans nos relations mutuelles, règnent principalement l’attachement à la personne de Jésus-Christ et la pratique de l’amour évangélique, nos différences, voire divergences, seront de peu de poids en comparaison d’un tel témoignage. L’expérience du pardon mutuel là où il s’avère nécessaire, la reconnaissance réciproque de nos faiblesses et limites à la lumière de l’amour de Dieu est aussi un témoignage au service de notre mission commune. Enfin l’unité prônée par le Christ ne sera réalisée que dans la vie éternelle. Sur terre nous marchons vers elle par des voies multiples. Une unité de façade où tout le monde penserait, croirait, prierait et agirait de manière identique ne serait pas crédible aux yeux de nos contemporains. Dans cette marche vers l’unité, nous sommes solidaires. Témoigner d’une telle solidarité, comme nous le faisons en ce moment, constitue une sorte d’anticipation du monde à venir où Dieu sera définitivement « tout en tous ».

Références bibliques : Job, chapitre 19, versets 23 à 27; Apocalypse, chapitre 22, versets 1 à 5; Évangile selon Luc, chapitre 24, versets 36 à 53

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