Frère de choeur
J’admire les chorales. Tout un miracle d’harmonie, de coexistence pacifique entre voix et tempérament souvent contrastés. Avec une pensée émue pour le chef de chœur, qui doit faire avec tout cela. Parmi les pupitres, j’ai un faible pour les basses. Vous savez ces voix indispensables mais, avouons-le, que l’on n’entend pas trop. Les bonnes basses, discrètes et efficaces, qui font le job sans se mettre en avant. Se faire remarquer, c’est plutôt les voix plus aigües, les ténors (comme moi). Se plaindre de ne pas être mis en avant, ça c’est les alti. Et puis il y a les sopranes, où l’on retrouve de tout. Mais un jour, à la surprise générale, révolte chez les basses : « Je fais tout comme il faut, et personne ne pense à moi. Il y a en a que pour les ténors qui n’en font qu’à leur tête ». Et le chef de chœur, magnanime doit tout faire pour que la musique continue.
Ce qui vaut pour la musique vaut pour le reste. Il y a des gens comme ça. Bons, obéissants, qui ont du mal à supporter les caprices et les folies des autres. On a ça aussi dans les couvents, rassurez-vous. Le problème, c’est que souvent ces trop sages n’osent pas. Pas demander. Parce qu’il ne faut pas déranger. Pas sortir du rang. Ils n’osent pas répondre non plus. Pas de bruit. Alors, la pression monte forcément, à force de garder tout pour soi, et ça finit par exploser.
Il y en a d’autres qui n’hésitent pas, qui osent, quitte à dépasser les bornes. Ils testent les limites et les franchissent parfois allégrement. Ils demandent vingt, cent fois pardon et ça énerve tout le monde parce qu’on sait qu’ils vont recommencer, et qu’à force, ils devraient avoir épuisé leur crédit de miséricorde.
Mais le chef de chœur, qui ne veut favoriser personne, se dit juste : ça serait tellement plus simple si le trop bon élève pouvait apprendre l’obéissance à l’artiste émancipé, et si ce dernier pouvait apprendre au bon élève la joie de la liberté. Tellement plus simple si le fils aîné pouvait communiquer un peu de sa sagesse et de son ardeur au travail au cadet, et que le cadet pouvait lui apprendre le sens de la fête, le goût de la liberté et l’audace de demander de l’aide, ou juste un peu de répit.
Avez-vous remarqué d’ailleurs : on ne sait pas comment finit la parabole. Les deux frères vont-ils se rencontrer ? Maintenant que le père a pardonné l’un et consolé l’autre, c’est à eux de jouer. Et l’on se surprend à élaborer des scenarios. Le cadet va-t-il sortir de la salle de fête, parce qu’il se languit de son frère ? l’aîné va-t-il profiter de la musique pour se détendre un peu ? Tout ça semble compliqué. On craint plutôt que les deux frères, malgré l’intervention du père, poursuivent leurs parcours parallèles, avec le risque de retomber.
Voilà pour nous frères et sœurs. Dieu a fait son œuvre. Il pardonne à celui qui est allé trop loin, lorsque nous revenons repentis, que nous nous demandons pardon ou que nous le recevons dans le sacrement de la réconciliation. Dieu agit encore quand nous sommes consolés d’apprendre que l’on est aimé, même lorsque cet amour n’est pas manifeste, pas assez sensible à notre goût. Mais cela ne suffit pas. Ce qui nous fera bouger, vraiment, ce sont nos frères. Surtout ceux qui sont différents de nous. Surtout ceux qui nous énervent, bien souvent parce que nous leur jalousons secrètement l’audace ou le sérieux, la joie ou la rigueur.
Ce n’est qu’en retrouvant son frère que le cadet pourra achever ce que le père a initié. Il était mort, le voilà revenu à la vie, il faut maintenant qu’il apprenne à vivre à nouveau, libre, mais obéissant, joyeux, mais travailleur, émancipé, mais fidèle. En fils adulte, et plus en enfant.
Bénis soient nos frères qui nous donnent de mettre en musique tout l’amour dont Dieu nous rend capables. Il nous reste deux semaines pour retrouver celui que, trop longtemps, nous avions ignoré.