Vous connaissez sans doute cette réplique culte du film la Grande Vadrouille, lorsqu’un soldat anglais se fait soigner par une religieuse. Pendant que celle-ci ausculte son foie, elle lui dit ceci : « Votre foie est gonflé. Vous aimez bien tout ce qui est bon. Eh bien, c'est très mauvais ! » Nous en faisons bien souvent l’expérience : ce que nous trouvons bon peut s’avérer à terme très mauvais ! Cependant, à l’écoute des béatitudes, est-ce que ce qui nous semble mauvais, injuste —ou à combattre— serait en réalité bon ? ‘Heureux les pauvres !’ ‘Heureux êtes-vous si on vous persécute’. N’est-ce pas pervers ? Un peu d’opium pour le peuple ? Avons-nous honnêtement le courage de vivre ces béatitudes ?

Ce passage qui inaugure le sermon sur la montagne ne nous invite pas à être idéologue, à fuir la réalité, encore moins à valoriser la souffrance. Les béatitudes ne nous invitent pas à avoir une « attitude de béats ». Au contraire, elles sont autant de chemins vers une joie bien réelle, concrète. Vers un bonheur qui commence dès aujourd’hui dans la banalité de cette vie. La joie et le bonheur des béatitudes sont en effet à portée de main. De quelle manière ? En consentant à la vie telle qu’elle nous est donnée, avec sa part d’inéluctable, et de manque. Il s’agit pas d’une résignation passive. Au contraire, il s’agit de nous déposséder de la volonté de posséder notre vie ! De voir le manque, l’incomplétude, l’intranquillité non comme des failles à combler, mais comme chemins d’humanisation. Il y a en effet une salutaire frustration qui nous rappelle que le plaisir n’est pas le moteur de l’humain, ou le critère de sa réussite. En cela, il ne s’agit pas de changer de vie, la refaire ou la gagner. Mais de changer sa vie. La voir autrement. Et y inviter Dieu. Non pour qu’il comble notre vide, mais pour qu’il nous donne d’habiter et d’accueillir nos manques autrement. Dans la vie, le comble ne serait-il pas de se croire comblé, parvenu ?

Ceux et celles qui se mettent à l’école des béatitudes —les saints et saintes d’hier et d’aujourd’hui— sont, dans leurs zones d’ombres et leurs manques, des passeurs de lumière. Ils témoignent, par leur fragilité, d’une force venue d’ailleurs. Ces hommes et ces femmes nous montrent que notre monde, si dur et si violent, ne se réduit pas à son inhumanité, à son absurdité. Par leur exemple, ils nous invitent à ne pas nous laisser enfermer dans cet esprit du monde qui voit l’échec comme la fin d’une histoire, et non comme un possible départ.

Dans notre monde de performance et de rentabilité, les béatitudes sont en réalité folles, paradoxales, presque inaudibles. Saint-Paul nous le rappelle : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ». Alors, si nous nous risquons à vivre ainsi les béatitudes, celles-ci nous montreront qu’il y a toujours —quelle que soit notre âge ou notre histoire— la possibilité d’aller de l’avant. L’échec ne sera plus un mur, mais un passage, un chemin vers une promesse inattendue.

D’ailleurs, le mot de l’Évangile utilisé pour «heureux» peut aussi se traduire par «en route», «en marche», «en avant». Oui, en marche les petits, nous dit l’Évangile. En marche, toi qui te sens vide : accueille ton manque et tu verras tout comme un don. En avant, toi qui es plein de larmes, elles seront pour toi les eaux d’un nouveau baptême, d’une renaissance ! En marche les endeuillés, debout les sans espoir, en marche les persécutés

Bien entendu, il ne s’agit pas de se mentir ou d’offrir de fausses promesses. Mais de croire que dans nos nœuds psychiques, nos failles narcissiques, nos échecs affectifs —dans tout ce qu’il y a d’irrésolu en nous— il est toujours possible d’avancer, de marcher, de mettre davantage de vie et de confiance. En un mot : il s’agit de vivre pleinement cette vie-ci, afin de mourir en ayant pleinement vécu et aimé et non de survivre malgré les forces de morts.

’il en est ainsi, c’est à nous d’écrire nos béatitudes, nos chemins de félicité, à nous de les décliner, de les méditer… Oui, heureux ceux qui se savent fragiles et dépendants. Heureux ces mendiants devant Dieu. Leur faim de relation s’épanouira en empathie et attention aux autres. Leurs larmes seront les eaux d’un enfantement. Leur fragilité donnera des forces. Le vide en eux ne sera plus une absence, mais lieu d’écoute…

Voilà donc notre destinée la plus intime : accueillir l’inaccompli, l’inachevé, l’intranquillité, pour que, au creux de nos failles et de nos peurs, l’Esprit de Dieu vienne achever son œuvre. Vraiment, le bonheur et le plaisir ne conduisent pas à Dieu : c’est Dieu lui-même qui nous conduit à un bonheur et une joie insoupçonnée. A nous d’y croire et d’en vivre. Amen.

 

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Saint Paul est-il moderne ?

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