« Aimez vos ennemis ! » Oserais-je rappeler ces paroles de Jésus à mes amis Ukrainiens ? Pas sûr... Ces mots sont-ils insupportables à entendre ou prophétiques d’un monde nouveau ?
Essayons d’y voir plus clair. La 1e lecture de ce dimanche est extraite du livre du Lévitique, collection de lois un peu indigeste, c’est vrai – un proverbe lorrain menace : « Si tu n’es pas sage, on te lira le Lévitique. » Ceci dit, on y trouve des perles, comme cette phrase : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18). A l’époque de Jésus, la tradition juive avait déjà rapproché le commandement de l’amour du prochain du grand commandement « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » (cfr Dt 6,4). Jésus franchira un pas supplémentaire en identifiant les deux : pour lui, amour du prochain et amour de Dieu ne font qu’un.

Ici, Jésus radicalise cette prescription de l’amour du prochain ; il lui donne une dimension proprement révolutionnaire : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent. » L’amour du prochain vise tout homme, toute femme, sans exception, même celui qui m’a fait du mal. Jamais personne n’avait osé affirmer une telle radicalité avant le Christ !
Ne pas se venger, on peut l’entendre ; à la limite prier pour ses persécuteurs est encore acceptable... Mais aimer ses ennemis ! C’est trop ! Comment les Ukrainiens sous les bombes russes, les Congolais du Kivu soumis à la violence des milices, les femmes violées et les enfants agressés peuvent-ils entendre ces mots ? N’est-ce pas insupportable ?
Comment les comprendre ? 

1. Jésus, quand il invite à l’amour des ennemis, commente les paroles du Lévitique « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18). « Comme toi-même » ... Justement, pas facile de s’aimer soi-même ! Parfois nous avons du mal à nous aimer, nous sommes déçus de nous-mêmes ou de nos réactions, nous détestons certains de nos échecs. L’amour n’est pas un long fleuve tranquille. Il se mêle à la déception, l’angoisse, les tensions, la détestation parfois. Il se construit pas à pas, il connaît ses hésitations, ses échecs et ses souffrances. S’aimer soi-même, aimer son prochain, aimer ses ennemis : aucun amour n'est facile ! Car tout est très mélangé en nous. L’amour des ennemis n’empêche pas les moments de détestation ou les poussées de rancœur. 
Jésus continue : « votre Père (...) fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » (Mt 5,45) Oui, tout est mélangé en nous et autour de nous, le bon et le moins bon.

2. Il faut ensuite comprendre ce que signifie l’amour – que ce soit celui des amis ou des ennemis. Nous mettons beaucoup trop de connotation sentimentale à ce mot. Aimer ses ennemis, ce n’est pas les trouver sympathiques, ce n’est pas gommer le mal qu’ils nous ont fait ! L’amour n’empêche pas le devoir de vérité et de justice.
Aimer, c’est avoir de la bienveillance. Dépasser mes réactions affectives pour vouloir le bien, le mien et celui de l’autre, même s’il est mon ennemi, même s’il m’a blessé. Aimer mon ennemi, c’est croire que son humanité et la mienne peuvent se rejoindre, car nous sommes tous les deux enfants de Dieu. 

3. Et enfin, il faut accueillir la dimension proprement collective de ce commandement de Jésus. Jésus est passé du « tu » au « vous », du « Tu aimeras ton prochain » à « Aimez vos ennemis ». Parce que, pour faire grandir le Royaume de Dieu, il faut que toutes et tous, nous nous engagions sur le chemin du pardon et de la fraternité universelle. L’amour des ennemis n’est pas qu’un enjeu individuel, mais collectif.
Dans la vie, il faut oser. Oser l’amour des ennemis, oser croire en ce monde nouveau promis par le Christ. L’amour des ennemis est une force qui peut transformer le monde, Jésus nous invite à la révolution de l’amour. La justice doit toujours être faite, bien entendu, on ne construit que sur un socle de justice, mais elle n’est pas suffisante pour créer un monde nouveau. Le pardon et l’amour des ennemis sont les seuls aptes à recréer une relation entre les personnes qui se sont fait du mal comme entre les peuples en guerre. 

L’amour des ennemis auquel nous invite Jésus est la promesse et l’incarnation du Royaume de Dieu. De ce Dieu qui aime chacune et chacun, quelles que soient ses faiblesses, son péché, le mal qu’il a pu commettre. Devenir véritablement enfant de Dieu, « fils de votre Père qui est aux cieux », c’est établir vis-à-vis de tous, même nos ennemis, une semblable relation d’amour.

 

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Peut-on aimer tout le monde ?

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