Frères et sœurs,

Nul n’est prophète en son pays”. Voilà une vérité qui ne doit pas décourager les plus casaniers d’entre nous ! Derrière celle-ci, se cache en réalité cette conviction qu’on ne s’atteste jamais par soi-même. Pour grandir, il faut de la distance, de l’écart, même par rapport à sa propre famille, son milieu… Sans recul, sans accompagnement extérieur, nous avons d’ailleurs une grande facilité à mentir à nous-mêmes, à ne pas accueillir notre propre vérité. En effet, dans la vie, c’est bien souvent l’autre —l’être aimé, l’ami, le conjoint, l’étranger— qui vient faire naître en nous la vérité. Dès lors, pour qu’une parole prophétique résonne aujourd’hui dans le terrain de notre cœur, prenons un peu de recul.
Ne soyons pas comme les habitants de Nazareth, qui croient savoir. Mais, au contraire, sachons croire ! Et pour cela, redécouvrons une réalité aussi simple que difficile à mettre en pratique : il s’agit de notre capacité à nous étonner.

L’étonnement est cette sagesse de l’émerveillement et du questionnement en toute circonstance. En effet, il nous arrive si souvent d’enfermer les gens qui nous entourent dans des cases, dans ce qu’ils ont un jour maladroitement dit, écrit ou fait. C’est comme si nous les empêchions d’être encore des prophètes ! Durant l’enfance de Jésus, rien ne laissait présager quelque chose d’exceptionnel dans la vie de ce banal fils du charpentier ! Et à la synagogue de Nazareth, il n’a eu devant lui que des compatriotes qui pensaient probablement tout savoir de lui. Voilà pourquoi, avec les personnes que l’on connaît —ou croit connaître— seul l’étonnement leur offre toujours un passage, une ouverture. Seule notre curiosité leur propose toujours un chemin. Un tel étonnement délie les autres de leurs étiquettes, des identités dans lesquelles nous les rangeons. C’est cela qui leur permet de passer leur chemin, d’être libres et eux-mêmes ! Seule la surprise permet de toujours voir les autres qui nous entourent avec une part de mystère, d’inconnu. Cet étonnement est donc au commencement, à la racine de toute relation, de toute sagesse, de tout acte d’amour. “Etre amoureux” écrivait d’ailleurs le poète, “c’est toujours rester étonné”. Amour et étonnement permettent donc de questionner nos évidences, de ne pas prendre tout au sérieux, de mettre de l’humour dans notre quotidien. D’ailleurs, quand on perd cette capacité à s’étonner, les autres deviennent prévisibles. Et lorsqu’ils sont pré-visibles, ils deviennent tôt ou tard in-visibles à notre cœur.

 

“Aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays”. Pour le dire autrement, il n’y a pas d’amour possible lorsque l’autre est un terrain connu, conquis. Notre connaissance et notre foi sont toujours partielles. Nous voyons toujours dans un miroir, de manière imparfaite. Parfois, avec le temps, certaines réputations nous précèdent. Nous pouvons aussi perdre notre capacité à aimer, et à nous laisser étonner. Le temps est parfois destructeur à l’égard de l’amour passion. Il est par contre chance de construction à l’égard de l’amour vrai, celui dont parle Saint Paul : cet amour qui considère que rien n’est jamais acquis, qu’il y a toujours quelque chose de neuf à construire, que l’amour est toujours imparfait, et donc à parfaire. L’amour vrai se nourrit ainsi de patience. Il met de la permanence dans l’impermanence de nos désirs. Il ose faire du temps un allié, capable d’accueillir le présent pour ce qu’il est : une chance de construction, un chemin que prends l’éternité de Dieu pour nous visiter. L’amour n’est jamais dans la rentabilité, la certitude. Il tient précisément sa beauté de son imperfection. Dans la foi comme en amour, il ne faut donc jamais se croire chez soi, en pays conquis, mais toujours face à des terres à découvrir, à des horizons jamais atteints. L’amour et la foi ne seront jamais des certitudes. Ainsi, seul celui qui sait toujours voir dans le visage de l’autre quelque chose de potentiellement indicible —et donc à contempler et découvrir— restera sur ce chemin de la surprise et de l’étonnement, malgré les exigences et les soucis de la vie.

Alors, la question que nous avons à nous poser est bien la suivante. Autorisons-nous vraiment les autres à prendre leur propre chemin? Délions-nous ceux qui nous entourent des étiquettes que nous leurs donnons ? Permettons-nous à l’Esprit de Dieu de souffler où il veut, en dehors de nos églises, en dehors de nos religions ? Chez celui qui n’a pas notre foi, qui ne pense pas comme nous ? Chez la veuve de Sarepta ? Chez Naaman le Syrien ? Permettons-nous vraiment à l’évangile de faire son chemin en nous et chez les autres ?

Si à cause des aléas de la vie, de nos souffrances ou de nos peurs, nous perdons parfois notre capacité à nous étonner, nous pouvons aussi garder vive cette confiance que Dieu s’étonnera toujours de ce que nous sommes. Pour celui qui se risque à croire en ce Dieu qui s’émerveille, il y aura toujours cette voix divine pour nous dire tendrement: au milieu des peurs et des préjugés: passe, avance sur ton chemin, cherche les dons les plus grands. Donne-moi de m’étonner de toi.

Amen.

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