Frères et sœurs, il y a une chose qui est certaine dans la parabole que nous venons d’entendre : personne n’est laissé sans talent. Et même mieux : chacun reçoit en fonction de ses capacités, de ce qui est possible pour lui, pour elle.
J’aimerais d’abord revenir à la situation de ce serviteur de la parabole qui n’a reçu qu’un seul talent. Pour moi, cet homme est l’exemple de tous ceux et celles qui, dans notre société mais aussi dans notre Église, agissent d’abord par peur au lieu de risquer leur vie sur la confiance. Quand on accepte de relire cette parabole de l’Évangile autrement que dans la perspective d’une justice distributive ou d’une séance de remise des prix (ce qui n’est pas le but de cette parabole!), on trouve ici le condensé des attitudes et des choix les plus significatifs de notre société. En résumé : « Entre la peur et la confiance, choisis donc la confiance » ! Tout est là. Et d’ailleurs, il n’y a de responsabilité vraie que dans la confiance. C’est ce qu’ont compris les deux premiers serviteurs de la parabole.
La Confiance… Il ne s’agit pas de faire l’éloge de l’imprudence ou de l’insouciance. Il ne s’agit pas non plus de refuser la lucidité, car la confiance n’est pas aveugle. Ni aveuglement. Avez-vous remarqué combien l’Évangile rejoint notre expérience humaine la plus profonde : il n’y a de confiance que dans la relation ? On pourrait dire, s’agissant de Dieu (mais aussi de toutes ces relations qui sont sources de vie) que confiance rime avec alliance. C’est pour cela que la foi est si importante dans l’Évangile car, vous le savez, le contraire de la foi, ce n’est pas le doute (il peut, au contraire, devenir le lieu ouvert à nos questionnements bien légitimes et, parfois, nécessaires)… mais le contraire de la foi, c’est la peur.
Une remarque encore : nous ne pouvons vraiment faire confiance qu’à partir du moment où nous avons fait l’expérience d’une relation où quelqu’un nous fait confiance. Dans la foi chrétienne, c’est le cœur de tout le message : Nous pouvons faire confiance parce que Dieu, le premier, nous fait confiance. Nous pouvons aimer parce que Dieu, le premier, nous a aimés. Sans cela, l’Évangile est un message vide de toute densité humaine et de toute pertinence au plan de l’expérience.
Mais revenons à ce serviteur qui n’avait reçu qu’un seul talent… et qui était donc celui qui avait le moins à rendre… et, peut-être de cette façon, le plus à donner. Un commentaire de cet Évangile m’a aidé à le comprendre. C’est l’histoire d’un homme, appelons-le Adam, qui, à la Genèse de l’humanité, s’était vu confier un jardin avec ses arbres et ses plantes. Et Dieu lui dit : « Cultive tous ces arbres et toutes ces plantes… mais accepte que je m’en réserve un (ce qui, soit dit en passant, était peut-être une façon d’alléger le travail de cet homme et de sa compagne Ève). Adam le prit très mal. Il y eut du soupçon dans son cœur et de la jalousie dans sa tête. Il entrait, par manque de confiance, dans le cercle vicieux de la méfiance, de la haine et de la peur. Et ce fut le « péché par manque de foi » qu’on appelle aussi « péché originel ». Non pas des origines au sens seulement chronologique, mais au sens de ce qui est à l’origine de l’homme, de ce qui fait son identité profonde… à savoir être un homme, une femme capable de relations et de confiance. En Jésus-Christ, et la parabole des talents en est un exemple, Dieu est venu briser définitivement le cercle vicieux et infernal de ce qu’est le « péché originel ». Ne trouvez-vous pas que le serviteur qui n’a reçu qu’un talent ressemble étrangement à Adam ? Il est « quelque part » dans le même péché. Et nous ? Permettez-moi pour conclure de faire le lien entre cet Évangile et les deux autres lectures de cette liturgie.
C’est d’abord saint Paul qui nous parle de la venue du Seigneur. Il nous parle, l’avez-vous remarqué ?, du « Jour du Seigneur » ! C’est en fait, ici, tout le grand projet de Dieu pour l’humanité. C’est toute la perspective du Royaume de Dieu, « déjà là et pas encore ». Quel est le sens de notre vie sinon notre marche vers un monde (ce que le Christ appelle le Royaume de Dieu) enfin libéré de tout ce qui fait entrave au bonheur. Nous sommes donc dans une situation de gestation, étape nécessaire et incontournable vers un monde nouveau ou, plus exactement renouvelé.
C’est aussi, dans la première lecture, l’éloge de la femme appelée « vaillante », mais, surtout, habitée par la Sagesse. C’est le pape Jean-Paul II qui, lors d’un de ses derniers pèlerinages à Lourdes, disaient que les femmes étaient « les sentinelles de l’avenir » de l’humanité mais, sans doute y pensait-il aussi, de l’Église. Je voudrais seulement ici faire le lien avec l’Évangile de la parabole des talents. On a souvent identifié les « talents » à des talents ou capacités reliées à un agir. Ici, ce qui fait la valeur de la femme vaillante, c’est qu’elle est habitée par la Sagesse et cela suffit ! N’avons-nous pas, dans la lumière de ce texte biblique, à nous regarder davantage dans ce qui fait notre identité et notre « originalité » d’homme et de femmes plutôt que de recenser des valeurs ou soi-disant valeurs qui justifieraient que nous soyons « reconnus » uniquement pour nos mérites ? Dieu nous dit : « Ce que je te confie, c’est toute ma confiance. Ne l’enferme pas dans les terres ingrates de tes peurs. » Et il pourrait ajouter : « Tu es toi… et cela seul suffit… pour que mon Amour te soit donné ! »
Que la confiance balaie nos peurs et nous connaîtrons le vrai bonheur. C’est la promesse de Dieu qui rejoint le désir de l’homme. Le décapage du cœur conduit à la plénitude de la Vie et de l’Amour dont Dieu veut nous combler. C’est la Bonne Nouvelle de l’Évangile. Amen.
Références bibliques : Pr 31, 10-13.19-20.30-31 ; Ps. 127 ; 1 Th 5, 1-6 ; Mt 25, 14-30
Référence des chants :