Amis téléspectateurs, vous l’aurez compris, la commune de Marciac où nous sommes aujourd’hui est, à la faveur de son festival annuel, un haut lieu du jazz. Un poète noir américain, évoquant les grands musiciens de jazz, d’Armstrong à Coltrane, disait d’eux : « Ils prêchent un sermon qui toujours swingue. » Je ne vous en promets pas autant, mais je voudrais au moins pouvoir dire qu’il y a dans le jazz de quoi réveiller nos âmes habituées. Car le jazz, c’est mieux qu’un rythme, c’est une pulsation qui vient du cœur, une musique qui charrie la douleur, la révolte et l’espoir. Le jazz a sa source dans le blues de l’esclave en même temps qu’il a toujours trompété l’espérance biblique d’un monde nouveau.
Il faudrait que nous puissions entendre la Parole qui nous est adressée aujourd’hui d’un cœur aussi vibrant et désirant qu’un solo de saxo dans la nuit, d’un cœur affamé de choses inconnues, comme dit le poète, d’un cœur assoiffé de justice.

Jésus, vous l’avez entendu, se présente comme le pain venu du ciel qui donne la vie au monde. Il est le pain véritable qui s’offre à notre faim véritable. Mais cette faim qui nous tenaille et nous creuse, cette soif spirituelle, nous la trompons sans cesse avec des produits de consommation, nous la saturons de nourritures terrestres qui étouffent en nous le désir. Comme les fils d’Israël, dans leur traversée du désert, nous sommes toujours tentés de préférer la satiété des esclaves à la liberté des nomades.
Le livre de l’Exode raconte que pour faire taire les récriminations des Hébreux, le Seigneur Dieu fit pleuvoir autour de leur campement un pain bien étrange, « une fine croûte, dit le texte, quelque chose de fin comme du givre. » Une nourriture providentielle, une manne comme nous disons aujourd’hui. Ce mot tient son origine de la réaction des fils d’Israël qui se dirent entre eux, en hébreu : « Man hou », c’est-à-dire « Qu’est-ce que c’est ? »
La question rebondira avec l’avènement de Jésus. Quel est donc cet homme ? demandera-t-on, mi-soupçonneux, mi-admiratif. N’est-il pas le fils du charpentier ? Comment peut-il dire : je suis descendu du ciel ?
Oui, quel est cet homme qui prétend être en sa personne une nourriture de vie et nous combler au-delà de tout désir ? Et qu’est-ce que ce pain qu’en son nom l’Église continue de nous donner en partage ?
Nous le savons, plus exactement nous le croyons : quand nous mangeons ce pain et buvons à cette coupe, nous célébrons le mystère de la foi, nous communions à l’amour dont Dieu nous a aimés, dans un don sans retour, au prix de sa vie.
Nous le savons et cependant le pain que Jésus nous offre, comme la manne du désert, demeure pour nous une question : man hou, qu’est-ce que c’est ? Non pas parce que nous douterions de la réponse qui s’y donne mais parce que nos cœurs de croyants ne seront jamais assez grands pour l’accueillir.
Jésus, le pain descendu du ciel, n’est pas venu nous gaver de certitudes mais nous combler de son amour. Ce qui n’est pas la même chose. Les certitudes durcissent le cœur, tandis que l’amour lui donne des ailes. L’amour creuse en nous le désir d’aimer, il nous donne faim de justice et de paix pour le monde dont nous avons la garde.

Le livre de l’Exode raconte un peu plus loin que Moïse interdit aux fils d’Israël de faire provision de la manne que le ciel leur prodiguait chaque jour. Certains, bien sûr, désobéirent. Mais bien mal leur en a prit, car la manne dont ils avaient rempli leurs musettes devint rapidement immangeable.
Ce que je comprends dans cette histoire, c’est qu’un croyant ne peut pas être un homme repu dont les poches seraient bourrées de provisions. Je me suis souvenu de ce que disait le poète Charles Péguy : « Jésus nous a donnés des paroles vivantes […] nullement conservées moisies dans de petites boîtes […] des paroles vivantes qui ne peuvent se conserver que vivantes. »
Le croyant ne possède pas la vérité, il s’en nourrit comme d’un pain qui donne faim d’un avenir toujours plus grand et force de poursuivre la marche.
Le croyant est un nomade qui voyage léger parce qu’il sait pouvoir compter chaque jour sur un Dieu qui s’est fait pour lui parole et pain.
Le croyant est homme de désir qui, comme dit saint Paul, se laisse guider intérieurement par un esprit renouvelé. Assoiffée d’éternité, sa prière déchire la nuit comme les premières notes d’une improvisation de jazz.

 

Références bibliques : Ex 16, 2-4.12-15; Ps. 77; Ep 4, 17-24; Jn 6, 24-35

Référence des chants :

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