Dans la librairie d’un monastère, j’ai trouvé un jour une carte postale où l’on voyait un petit rongeur, le museau tendu vers une grappe de fruits rouges. Sur la légende on lisait : « Je résiste à tout, sauf à la tentation ! »

Cette présentation sympathique de la tentation est bien éloignée de ce qui est en jeu dans le récit de l’évangile que nous venons d’entendre. On y voit Jésus confronté aux trois tentations majeures qui, au fond, traversent chacune de nos vies. Jésus a été tenté et durement. Il est vrai que plus quelqu’un cherche à mener une vie digne de l’être humain, une vie bonne, belle, juste, vraie, plus il se trouve en butte à tout ce qui s’y oppose.

La première tentation me fait penser à ces paroles d’une chanson d’Alain Souchon : « On nous fait croire, que le bonheur c’est d’avoir, de l’avoir plein nos armoires. » Le piège consiste à penser que mon bonheur dépend de ce que possède, du remplissage de mes armoires ou… de mon ventre. Après 40 jours, Jésus a faim. Rien de plus normal. Mais Jésus affirme que notre faim la plus fondamentale n’est pas de l’ordre des choses mais de la relation : avoir quelqu’un qui me dise des mots d’amour et à qui je puisse en dire. Dieu, en premier, est celui qui me parle ainsi. « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

La seconde tentation s’infiltre à travers notre besoin légitime d’être reconnu, apprécié, de réussir. Mais ce besoin s’exacerbe en besoin de paraître, de briller… Et que signifie « briller » sinon, souvent, de faire de l’ombre aux autres. C’est la proposition faite à Jésus de sauter du haut du temple, afin que les anges le portent devant les foules médusées et donc forcément conquises. Mais pour cela l’adversaire propose à Jésus de mettre la bonté de Dieu, de son Père, à l’épreuve ; de l’utiliser à son propre profit. Utiliser Dieu, ou l’autre, pour mon ambition personnelle, voilà la tentation, si fréquente… et que Jésus déjoue.

Dans la troisième tentation, l’adversaire tente le tout pour le tout. Il propose de donner à Jésus tous les royaumes du monde avec leur gloire. Mais avec une toute petite clause : qu’il se prosterne et l’adore. Cette tentation est celle du pouvoir qui prend à ce point la place que nous voilà prêts à vendre notre âme au diable. C’est vrai : pour avoir une place, pour monter dans les hiérarchies, quelles qu’elles soient, que de compromissions et de courbettes. Jésus ne se mettra à genoux devant personne, sinon devant l’homme fragile pour lui laver les pieds.

Le Jésus qui sort vainqueur de ces tentations est celui qui vient d’être baptisé et qui a reçu la plus magnifique des paroles : « Tu es mon fils bien-aimé. » Il est rempli de cet Esprit. Vous savez, lorsqu’on a l’assurance d’être bien-aimé, on n’a plus besoin de prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. On est libre. Libre par rapport aux choses car on ne se définit pas à partir d’elles ; libre par rapport au prestige car nous savons qui nous sommes ; libre par rapport aux sirènes du pouvoir car nous n’avons pas besoin de dominer pour exister. Le ressort de ces tentations est toujours le même : nous faire croire que nous devrions être autre chose, quelqu’un d’autre que ce que nous sommes. C’est le mensonge du serpent dans le récit de la Genèse qui susurre : « Si vous faites ce que je vous dis, vous serez ‘comme des dieux’. Vous aurez la connaissance du bien et du mal. » En d’autres termes, vous serez sans limite, tout puissants. En réalité, lorsque quelqu’un croit qu’il est « beau, grand et fort comme un dieu », il finit tôt ou tard par tomber de son piédestal pour s’apercevoir qu’en réalité il est tout nu. « Ils mangèrent » et « ils connurent qu’ils étaient nus. »

Par Jésus, dit Saint Paul dans la deuxième lecture, la grâce nous est donnée. En effet, Jésus se met de notre côté. Il nous donne cette grâce d’entrer en résistance face à tout ce qui n’est pas digne de l’humain. Nous avons quarante jours pour nous exercer à être libres à l’image de Jésus. Libres par rapport à cette course insensée, illusoire, aux choses, au prestige et au pouvoir. Laissons-nous tenter par cette liberté. Amen.

Références bibliques : Gn 2, 7-9 ; 3, 1-7a ; Ps. 50 ; Rm 5, 12-19 ; Mt 4, 1-11

Référence des chants :

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