Quelle différence peut-il bien exister entre l’expression « faire son carême » et le verbe « se carêmiser » ? Faire son carême, c’est tout simplement poser un ensemble d’actes et d’efforts ponctuels durant quarante jours. « Se carêmiser », par contre, c’est se convertir pour la vie, c’est-à-dire se laisser transformer par le Christ dans l’Esprit. S’il en est ainsi, revisitons l’adage suivant : « Pas d’alléluia, pas de chocolat ! ».

Le fait de ne plus chanter l’alléluia nous permet de vivre l’expérience d’un manque qui, paradoxalement, nous comble, car il nous permet, dès l’instant où nous le ressentons, d’être à nouveau touchés par la lumière de la Résurrection. De la sorte le « pas d’alléluia » nous conduit au « pas de chocolat ».

Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais moi, lorsqu’on m’interdit quelque chose, j’en ai encore plus envie. En effet, c’est dans le manque que nous nous rendons soudainement compte de l’importance de choses qui nous paraissent si normales, qu’elles en étaient devenues banales. Tout comme le Christ, nous sommes invités à entrer dans des déserts aux multiples tentations. Mais oserions-nous reconnaître que nous ne prenons plus assez le temps d’en traverser aujourd’hui ? Rendement, efficacité, rapidité, immédiateté, sont devenus les faux-dieux de notre société. Mais au profit de qui, sommes-nous en droit de nous demander ? Si je me laisse happer de la sorte, je passerai tout simplement à côté de l’essentiel, je me promènerai sur la berge de ma vie, sans jamais réellement y plonger. Redonnons alors de la vie au temps, plutôt que du temps à la vie. En effet, chante le poète : « On a volé mon temps, et depuis ce jour, je n’arrête pas de courir après pour le retrouver. »

Une conséquence possible de cette course effrénée est que la partition de ma vie se compose uniquement dans l’exceptionnel, dans l’extraordinaire. Et je me remets seulement à réfléchir au sens de l’existence quand mort, séparation, maladie, souffrance et perte d’emploi se conjuguent dans les rimes de mes pensées. J’ai alors besoin de me retrouver avec moi-même, de reprendre le temps du temps. Je redécouvre l’importance d’une multiplicité de petits gestes plus anodins les uns que les autres, tels un merci, un je t’aime.

Ces mots résonnent d’ailleurs dans le Foyer de charité où nous célébrons aujourd’hui, car ils ont la profonde simplicité de celle qui marque ces lieux. Contemplons en Marthe Robin une vie d’union au Christ, une vie rayonnante à l’écoute de tous ceux et celles qui défilèrent chez elle pour la consulter, tandis qu’elle-même était immobilisée et alitée. Émerveillons-nous de ces années de rencontres au plus intime de la prière et de l’accueil.

Tout comme elle, au plus profond de mon propre fond, je peux alors m’offrir le temps pour comprendre le sens de mon humanité, de ma vie, de tous ces pourquoi qui parsèment les chemins de nos inquiétudes et de nos angoisses. Je m’autorise enfin tout simplement à m’abandonner, à exister dans toute ma vulnérabilité. La véritable rencontre avec moi-même, avec l’autre et surtout avec le « Tout-Autre », va pouvoir se réaliser en pleine confiance. Je suis pleinement « carêmisé ».

C’est fou, mais le « pas d’alléluia, pas de chocolat », c’est un peu tout ça. Pouvoir s’offrir ce luxe qui ne pourra jamais s’évaluer, de rompre le rythme de nos monotonies, de casser l’impression de nos acquis, de retrouver le sens de notre vie, et surtout de redécouvrir le plaisir et l’importance d’aimer. Le « pas d’alléluia, pas de chocolat », c’est une multitude de petits déclics que nous nous offrons tout au long de la vie, pour vivre cette transformation intérieure et reconnaître que le bonheur est ailleurs, qu’il réside au plus profond de notre cœur, là où Dieu a choisi de résider. À ce moment précis, l’être humain « se carêmise » et devient à son tour porteur de cette Bonne nouvelle en Jésus Christ. Amen.

Références bibliques : Gn 9, 8-15 ; Ps. 24 ; 1 P 3, 18-22 ; Mc 1, 12-15

Référence des chants :

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