« Tais-toi ! » Dans la langue de l’Évangile, le verbe employé par Jésus est plus familier, plus rude encore. Il pourrait se traduire par : « ferme-la ! » Quand Jésus s’adresse aux esprits impurs, aux démons, il n’est pas poli, il ne fait pas dans la dentelle et ne prend pas de gants. Jésus impose le silence, non pas à l’homme rencontré dans la synagogue de Capharnaüm, mais à l’esprit hostile et maléfique qui le tourmente et qui parle à sa place.

Car il parle, cet esprit, il parle même fort bien, en apparence du moins. C’est un savant, sûr de lui : « je sais qui tu es », et sa connaissance de « Jésus de Nazareth », comme il le nomme avec exactitude, pourrait sembler une authentique affirmation de foi : « tu es le Saint de Dieu. » Dans cette synagogue où tous sont frappés, comme bouche bée, par l’enseignement de Jésus et son autorité, l’esprit impur est le seul à prendre la parole. Mais s’agit-il vraiment d’une parole ? Non, c’est tout le contraire, car en réalité, l’esprit impur, le démon, ne parle pas : il crie. Tout son discours n’est qu’un cri qui se donne des airs de parole, qui fait semblant de poser des questions à Jésus et de dire la vérité sur ce qu’il est. Cependant il se trahit lui-même, ce cri déguisé en parole. Vous l’avez remarqué, l’esprit impur tantôt dit « nous », tantôt dit « je » : en fait, il ne sait pas s’il est un ou plusieurs, singulier ou pluriel. Il n’est donc pas un sujet et, sans sujet, il ne peut y avoir de parole. La toute première question qu’il pose à Jésus : « que nous veux-tu ? », littéralement : « quoi entre nous et toi ? », cette question n’en est pas une, puisque c’est un refus de toute relation, donc de tout dialogue ou conversation, de tout échange de paroles.

« Tais-toi ! Sors de cet homme. » D’un coup, sans ménagement, Jésus met fin à la fausse parole de l’esprit impur qui, d’ailleurs, n’est plus qu’un « grand cri » lorsqu’il sort de cet homme. Fini le beau discours qui prétendait savoir et dire qui est Jésus pour mieux le rejeter. Finie l’illusion d’une parole articulée qui n’était que division, confusion et haine. L’homme, dont nous ne connaissons pas le nom, peut-être parce qu’il est un peu chacun de nous, est rendu à lui-même : il peut désormais être le sujet de sa propre parole et de ses actes.

Et si c’était cela l’autorité ? Si c’était cela, l’enseignement « nouveau » qui a tellement frappé les auditeurs de Jésus jusqu’à les stupéfier ? Jésus est la Parole en personne, il est la Parole même de Dieu qui fait taire, qui expulse les fausses paroles, mais qui, ainsi, rend la parole, la vraie parole humaine, et donc la liberté, à ceux qui ne l’avait plus, liés, possédés qu’ils étaient par un autre ou par d’autres qu’eux-mêmes.

Or voici que les disciples de Jésus, d’abord sidérés et muets, se mettent à parler eux aussi. Certes, c’est une parole encore un peu timide, balbutiante, un étonnement, une interrogation : « qu’est-ce que cela ? » Mais cette question, pour le coup, en est bien une, elle est vraiment parole, car ils se la posent les uns aux autres dans un dialogue, une recherche commune tout orientée vers ce Jésus qu’ils se sont mis à suivre.

Qu’attendons-nous, frères et sœurs, pour rejoindre cette grande conversation des disciples du Christ qui se poursuit tout au long des âges, qu’attendons-nous pour nous réjouir de cette parole libre que Jésus nous donne et nous redonne, qu’attendons-nous pour nous étonner et nous émerveiller à notre tour : « un enseignement nouveau, donné avec autorité ! »

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