À voir le jour de Pâques, un documentaire pousse la porte de trois chapelles remarquables sorties de restauration. Dans la lumière du Midi ou du plateau d’Assy en Haute-Savoie, ces édifices racontent l’heureux contact entre sacré et modernité artistique. Interview de Lucile Bellanger, la réalisatrice de ce triptyque.
Vence, Lerins, Assy, où partons-nous avec ce documentaire éblouissant ?
Nous allons à la rencontre de lieux de lumière et de beauté offerts au culte par des artistes de renom. Henri Matisse, Marc Chagall ou encore Vera Molnàr, pour ne citer qu’eux, ont créé des œuvres étonnantes au sein d’édifices spirituels qui ont osé parier pour le génie de l’art. À la faveur de récents chantiers de restauration, j’ai eu le privilège de tourner dans ces chapelles et églises exceptionnelles en compagnie de Charles Desjobert, dominicain et architecte du patrimoine. À la clarté de son érudition et de son enthousiasme, ces sanctuaires racontent la complicité créative des grands artistes modernes avec le sacré.
Qu’y a-t-il d’exceptionnel dans ces chapelles que vous nous faites (re)découvrir ?
Ce sont déjà des paysages d’extraordinaires. Les trois chapelles dans lesquelles je filme se trouvent dans des environnements naturels incomparables. Entre l’Estérel et Antibes, l’île Saint Honorat fait face à la Croisette dans la baie de Cannes. Sur les hauteurs de l’arrière-pays niçois, la chapelle du Rosaire à Vence est noyée dans les palmes et les feuillages argentés d’un relief qui descend en pente douce vers la mer.
En face de la chaîne étincelante du Mont-Blanc, à 1200 mètres d’altitude, l’église Notre-Dame de Toute Grâce d’Assy est une arche immobile insérée sans heurt dans la tectonique du paysage savoyard.
Parlez-nous de Vence ?
À Vence, nous jouons les équilibristes sur le toit de la chapelle Matisse. Car cette toiture est aussi une œuvre d’art à 7000 tuiles vernissées. Outre l’étanchéité et la reprise intégrale de la charpente, la restauration de ce toit de tuiles canal permet de retrouver le dessin original imaginé en blanc et bleu par Matisse en 1951. Sous le cobalt de ce manteau de tuiles, je filme aussi l’atmosphère de joie légère à l’intérieur de la chapelle. Matisse n’a pas imaginé que le dessin du toit mais tout l’édifice avec ce vœu : « J’aimerais que tous ceux qui entrent dans la chapelle se sentent déchargés de leur fardeau». J’en viens à raconter comment Matisse qui n’était pas vraiment un pilier de sacristie s’est retrouvé à créer cette petite chapelle conventuelle méditerranéenne.
Et Assy ?
Cette église est née dans les années 1930. Depuis la fin du XIXe siècle, le plateau d’Assy, en Haute-Savoie, était le village des sanatoriums. Il manquait une paroisse pour les malades. En bois, ardoise, et pierres du pays, cette église raconte l’audace de deux prêtres qui parient sur le génie des artistes de leur temps. Le résultat est aussi abondant qu’œcuménique. L’architecture trapue d’Auguste Perret abrite les couleurs de Fernand Léger, une mosaïque de Marc Chagall, des vitraux de Georges Rouault, une tapisserie visionnaire dessinée par Jean Lurçat, contribution aussi monumentale qu’improbable quand on sait le peu de goût de l’artiste pour les « bondieuseries »…mais c’est sans mentionner les contributions de Bonnard, Braque, Châtel, Signori, Germaine Richier.
Et Lérins ?
C’est une artiste pionnière de l’art numérique qui a conçu les vitraux de la chapelle Sainte-Croix récemment restaurée dans la tour forteresse de l’île. Au soir de sa vie, Vera Molnàr, laisse là, avec un brin de facétie, une fenêtre ouverte sur le ciel… Disparue à 99 ans, en 2024, l’artiste hongroise offre une ultime création de rigueur et de lumière aux cisterciens de Lérins et aux milliers de visiteurs avec lesquels les moines ont envie de partager « une miette de prière » et une bulle de paix échappée de ce jardin baigné par la mer.
Quel fil rouge réunit ces trois sites ?
En plongeant dans ce renouveau de l’art sacré associé aux plus grands noms de la création, je raconte des amitiés hors normes entre artistes et religieux. À Assy d’abord puis à Vence, des viviers de créativité gravitent autour d’une figure attachante. C’est celle d’un peintre devenu dominicain. Le père Alain Couturier a porté une conviction décisive. Pour faire un art chrétien de qualité, il fallait selon lui des artistes qui soient en même temps des saints. Mais comme c'était très difficile à trouver, il a préféré « faire appel à des génies sans la foi plutôt qu'à des croyants sans talent ».
Quelle surprise attend les visiteurs ?
Une fenêtre ouverte sur le ciel, à Lérins, où la sobriété des vitraux de Vera Molnàr consonne avec la spiritualité cistercienne. Le choc aussi d’une abbaye posée sur une île paradisiaque. Lérins est un site. La restauration de l’ancien monastère fortifié est une occasion nouvelle pour plonger dans la longue histoire de ce berceau du monachisme européen. La joie, la couleur et la légèreté attendent le visiteur de la chapelle du Rosaire à Vence. Entièrement signé par Henri Matisse, du sol à l’aérien campanile, cet édifice est un concentré de tout ce que Matisse a glané durant sa vie et, de son propre aveu, « une action de grâce pour la beauté de la création et de la nature», celle-là même qui cerne encore de palmes, de bougainvilliers et de plantes cactées la chapelle bâtie sur les roches de l’arrière-pays niçois.
Assy conserve la mémoire d’une audace. C’est la première église catholique à être enrichie par des œuvres d’artistes juifs. Chagall mais aussi Lipchitz. On peut encore d’ailleurs découvrir, à Assy, cette épitaphe : « Au nom de la liberté de toutes les religions ».
Propos recueillis par Magali MICHEL
Découvrez notre documentaire La renaissance des chapelles de Lucile Bellanger diffusé le dimanche 20 avril à 12h20