La restauration réussie de Notre-Dame de Paris a rappelé combien la beauté soutenait la foi. Le frère Marc Chauveau, dominicain, revient sur les liens étroits qu’a toujours souhaité entretenir l’Église avec les artistes.

Les fidèles ou visiteurs qui pénétrent dans Notre-Dame découvrent dès l’entrée le nouveau mobilier et sa grande « croix liturgique » avec d’abord le baptistère, puis dans l’axe de celui-ci, à la croisée du transept, l’autel, l’ambon et la cathèdre, et enfin dans le chœur le tabernacle. L’archevêque de Paris a choisi de confier à Guillaume Bardet la conception et la réalisation de cet ensemble mobilier en bronze, dont la « noble simplicité » le touchait. Ce mobilier s’impose comme une évidence, tant ses lignes pures et simples sont intemporelles.

Dans les deux ou trois années à venir, on découvrira des tapisseries contemporaines dans les chapelles latérales nord et des vitraux contemporains dans les chapelles latérales sud. Quelle est la place de l’art contemporain dans un édifice religieux historique et patrimonial aussi important que Notre-Dame ? Question légitime qui renvoie au rôle qu’a pu avoir l’Église, au cours de siècles, en tant que commanditaire d’œuvres d’art, rôle qui s’inscrit dans une longue tradition d’ouverture.

Un mobilier liturgique cohérent

Si on comprend bien la nécessité de créer un nouveau mobilier liturgique et de commander un important ensemble de chaises à la designer Iona Vautrin pour les fidèles, on peut s’interroger sur les raisons de passer commande à des artistes contemporains pour la création d’ensembles de tapisseries et de vitraux.

Rappelons que Viollet-le-Duc avait conçu la totalité des décors des chapelles latérales nord et sud de Notre-Dame en unité avec les chapelles rayonnantes autour du chœur. Avec la restauration du déambulatoire, nous redécouvrons tout le décor imaginé par l’architecte où les verrières ornementales dites « en grisaille », ou historiées, sont accompagnées d’un décor mural peint à la riche polychromie et à l’iconographie foisonnante, à quoi s’ajoutent les marbres des autels et de certaines sculptures. Nous sommes face à un décor complet qui s’étend sur tout l’espace des chapelles, un décor cohérent et homogène.

En revanche, le décor peint des chapelles latérales nord et sud a été supprimé dans les années 1960 pour retrouver la blondeur des parois de pierre et pouvoir y présenter des tableaux du xviie siècle — les fameux « Mays ». Le résultat est que les vitraux en grisaille ne sont plus accompagnés par leur décor des peintures murales. C’est ce qui a décidé le diocèse, en accord avec le ministère de la Culture, à commander pour ces chapelles des tapisseries et de vitraux. En effet, selon les lois en vigueur, la cathédrale appartient à l’État qui prend en charge les vitraux. Le mobilier, les peintures, sculptures, tapisseries, relève quant à lui de l’« affectataire », c’est-à-dire du diocèse. Naturellement, ces choix sont effectués en concertation entre les deux parties.

Des tapisseries contemporaines

Pour les chapelles latérales nord, le diocèse a souhaité que sur les murs en pierres blondes soient accrochés à la fois tableaux anciens, mais également des tapisseries qui seront commandées à des artistes contemporains. Le thème de chaque tapisserie sera en rapport avec la titulature des sept chapelles de l’« allée de la Promesse » dédiées à des figures de l’Ancien Testament associées à un thème : Noé (la Création), puis Abraham (la bénédiction), Moïse (la liberté), Isaïe (le serviteur), David (la prière), Salomon (la sagesse) et Élie (la réconciliation). Le cahier des charges précise que le langage artistique doit être figuratif. À l’issue d’un appel d’offre, deux artistes ont été choisi par l’archevêque : Miquel Barcelo et Michael Armitage. Ces tapisseries seront tissées sous la responsabilité du Mobilier national par les manufactures des Gobelins et de Beauvais, héritières des manufactures royales créées par Colbert, ainsi qu’à Aubusson.

Quant aux chapelles latérales sud, une commande de six verrières a été engagée. Le diocèse a choisi le thème de la Pentecôte pour ces chapelles le long de l’« allée » consacrée au « temps de l’Église ». Elles doivent elles aussi être figuratives. Le choix de l’artiste, Claire Tabouret, a été une décision conjointe de l’archevêque et du ministère de la Culture.

Découvrez notre documentaire La renaissance des chapelles de Lucile Bellanger diffusé le dimanche de Pâques à 12h20

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Confiance et beauté

Ces commandes posent la question de l’intégration d’œuvres d’art contemporain dans des édifices religieux patrimoniaux, mais aussi à celle de la confiance accordée par l’Église aux artistes de notre époque.

Comme l’indiquait Paul VI dans son message aux artistes en 1965, l’Église a depuis longtemps fait alliance avec les artistes qui ont édifié et décoré ses temples, enrichi sa liturgie, et l’ont aidé à rendre saisissable le monde invisible. Il rappelait qu’aujourd’hui comme hier, l’Église a besoin des artistes et se tourne vers eux, car le monde a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance. La beauté, comme la vérité, qui met la joie au cœur des hommes qui unit les générations et les fait communier dans l’admiration.

Dans cette même ligne, la récente homélie du pape François à l’occasion du Jubilé des artistes et du monde de la Culture saluait en la personne des artistes des gardiens de la beauté appelés à construire des ponts, à créer des espaces de rencontre et de dialogue, à éclairer les esprits et à réchauffer les cœurs.

Nous rappelant que toute œuvre patrimoniale fut en son temps une création contemporaine, les édifices religieux et leurs œuvres d’art témoignent de l’accueil fait aux artistes au cours des siècles. Remémorons-nous la remarque de Marc Couturier, auteur de la Croix glorieuse dans le chœur de Notre-Dame, au milieu d’œuvres admirées depuis des générations. Il évoquait une communauté d’amitié entre les artistes bien au-delà des siècles. En installant sa Croix il rejoignait des amis installés dans le chœur depuis des lustres et les voilà tous ensemble désormais « enrôlés pour un morceau d’éternité ».

Les vitraux de l'abbaye de Lérins

Terminons avec une autre réalisation actuelle. Loin de Paris, dans une petite chapelle médiévale de l’abbaye de Lérins sur l’île Saint-Honorat face à Cannes, un chantier de plusieurs années de restauration est en cours d’achèvement. Les moines ont accueilli favorablement l’idée de passer commande à une artiste contemporaine. Ils ont invité Vera Molnar à créer onze vitraux pour la chapelle et le cloître attenant, et une grande tapisserie, en cours de tissage à Aubusson, pour le chœur de cette chapelle. Vera Molnar, artiste de renommée internationale exposée l’an dernier au Centre Pompidou à Paris, a conçu des maquettes dans une écriture minimale aux lignes géométriques avec quelques éléments de couleur. Son projet a convaincu les moines cisterciens par sa cohérence avec leur propre tradition. Les vitraux viennent d’être posés et déjà on perçoit leur justesse dans cette architecture médiévale pure et dépouillée. L’accueil bienveillant des moines, heureux de voir prendre place dans ces murs séculaires des œuvres de leur époque, est une belle leçon d’ouverture à la création actuelle et de la confiance qui peut être accordée aux artistes.

Fr. Marc Chauveau, o.p.

Le frère Marc Chauveau, historien de l’art de formation, s’intéresse tout particulièrement à l’art du XXème siècle et à l‘art contemporain. Son souhait est de rendre accessible l’art contemporain au plus grand nombre de personnes, initiées ou non. Il est responsable de la programmation artistique de la galerie Saint-Séverin à Paris. Il a conçu, aux côtés des sœurs dominicaines de Vence, la scénographie et le réaménagement du musée de la chapelle Matisse à Vence. Il accompagne des communautés religieuses dans des projets de réaménagement d’espaces liturgiques et suscite des commandes d’œuvres d’art à des artistes contemporains : la recréation complète par Jean-Marc Cerino de la chapelle du Père Lataste à Montferrand-le-Château pour les dominicaines de Béthanie ou actuellement la création de onze vitraux et une tapisserie d’Aubusson par Vera Molnar pour la chapelle Sainte-Croix pour les moines cisterciens de l’abbaye de Lérins (Cannes). Il est nommé chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2022.